Une discrimination pécuniaire entre les agents publics de l’Etat servant ou ayant servi à Mayotte devrait enfin cesser suite à une décision de rejet qui témoigne paradoxalement de la victoire des agents contre l’administration.
Était contesté le traitement différencié s’agissant de l’indemnité de logement prévue pour les agents publics de l’Etat et les magistrats en service à Mayotte. Cette indemnité de remboursement partiel des loyers (IRPL) est prévue pour les agents qui ne disposent pas de logements de fonction et sont donc » obligés de se loger et de se meubler à leurs frais« . Ils disposent de la possibilité de se faire rembourser leur loyer, remboursement encadré en principe par un plafond. Ce plafond avait été fixé à Mayotte à 3000 Francs par un arrêté du 6 janvier 1986.
Or ce plafond a été abrogé par l’article 3 de l’arrêté du 25 septembre 2013 sans que cette abrogation ne soit suivi d’effet pour les agents en raison d’une ambiguïté dans les textes ou du moins dans leur titre. En effet, l’arrêté avait implicitement selon son titre et le reste de ses dispositions pour destinataire les seuls agents du ministère de la défense :arrêté pris en application du décret n° 2013-858 du 25 septembre 2013 relatif à la retenue pour le logement et l’ameublement des agents civils du ministère de la défense et des militaires affectés en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à la Réunion et à Mayotte.
Doit on en déduire que l’arrêté ne s’applique qu’aux militaires? Le rapporteur public indique – pour la rejette plus loin- cette possible interprétation :
» vous pourriez être tentés de retenir une lecture finaliste de l’arrêté du 5 septembre 2013, en vous fondant en particulier sur son propre intitulé, qui énonce que cet arrêté est pris pour l’application du décret du même jour, dont le champ d’application est lui-même circonscrit aux agents civils du ministère de la défense et aux militaires. Vous pourriez en déduire que la même restriction ratione personae vaut s’agissant de la portée de l’abrogation à laquelle il procède, qui ne se comprendrait donc que comme étant limitée aux seuls agents du ministère de la défense. » De nombreux décisions du tribunal administratif de Mayotte et de la cour administrative d’appel de bordeaux ont confirmée cette interprétation restrictive de cette abrogation ( CAA Bordeaux 9 septembre 2019), le cabinet ayant à cette époque défendu nombre de ces dossiers.
Cependant la rédaction de la disposition prévoyant l’abrogation était de portée générale et impliquait par une lecture sans interprétation une abrogation pour tous les fonctionnaires :
« L’article 2 de l’arrêté du 6 janvier 1986 susvisé est abrogé « .
Le rapporteur public le rappelle :
« la clarté du texte en cause est presque aveuglante… Quelle que soit l’intention réelle ou supposée de ses auteurs, il n’y a, de fait, rien à rajouter à cette prescription laconique. Le texte ne se prêtant pas à interprétation, vous ne sauriez, en particulier, être troublés par le voile d’obscurité que peut créer la référence faite, dans le titre de l’arrêté litigieux, aux seuls agents civils du ministère de la défense et aux militaires »
Jusqu’à aujourd’hui, des administrations ont largement refusé de faire bénéficier du déplafonnement les agents ne dépendant pas du ministère de la défense.
Le Conseil d’Etat vient donner raison aux agents contre l’interprétation de l’administration en jugeant que:
« Il résulte des termes mêmes de cet article que l’arrêté du 25 septembre 2013, signé notamment par les ministres désignés à l’article 6 du décret du 29 novembre 1967, a eu pour effet d’abroger l’article 2 de l’arrêté du 6 janvier 1986 pour l’ensemble des agents auxquels celui-ci s’appliquait, et non seulement pour les agents du ministère de la défense ainsi que le soutient le ministre de la transformation et de la fonction publiques. »
La requête est rejetée mais les requérants gagnent comme le conclut le rapporteur public » « Nous allons vous proposer de rejeter la requête comme étant dénuée d’objet, même si, paradoxalement, ce rejet marquera la victoire de la thèse soutenue par le syndicat « .
Cette décision salutaire ouvre une action indemnitaire pour tous les fonctionnaires lésés qui peuvent demander à être remboursés en totalité de leurs frais de logement, y compris pour la part excédant le plafond qui n’avait pas lieu d’être.
Décision commentée: Conseil d’État – 27 juillet 2022 n° 453370 Conclusions du rapporteur public