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Le congé d’office pour danger immédiat dans l’éducation nationale : une mesure strictement encadrée

Par un jugement rendu le 24 septembre 2025, le tribunal administratif de Marseille rappelle avec fermeté les conditions d’application du congé d’office prévu par l’article R. 911-36 du code de l’éducation. Cette décision mérite une attention particulière tant elle illustre les limites du pouvoir d’appréciation de l’administration en matière de gestion des personnels enseignants.

Les faits de l’espèce

Madame B, professeure des écoles à Marseille, a été placée en congé d’office pour une durée d’un mois à compter du 25 avril 2022 par arrêté du recteur de l’académie d’Aix-Marseille du 5 avril 2022. Cette mesure faisait suite à plusieurs courriers de son inspecteur de circonscription signalant des difficultés relationnelles et un comportement jugé inadapté. Le dernier courrier, daté du 14 mars 2022, évoquait un entretien au cours duquel l’enseignante se serait « emportée de façon violente, imprévisible et déraisonnable », l’inspecteur redoutant des réactions disproportionnées susceptibles de mettre en danger des élèves.

L’intéressée a contesté cette décision devant le tribunal administratif, qui lui a donné entièrement raison en annulant l’arrêté litigieux.

Le cadre juridique du congé d’office

Le congé d’office constitue une mesure exceptionnelle permettant à l’administration d’écarter temporairement un agent de ses fonctions lorsque son état physique ou mental fait courir aux enfants un danger immédiat. Codifié à l’article R. 911-36 du code de l’éducation, ce dispositif reprend l’article 4 du décret du 29 juillet 1921, texte historique en matière de protection de la santé des fonctionnaires.

Cette disposition permet au recteur d’académie de placer un enseignant en congé pour un mois avec maintien du traitement intégral, sur le vu d’une attestation médicale ou sur rapport des supérieurs hiérarchiques. Pendant ce délai, l’administration doit réunir le conseil médical afin d’obtenir son avis sur la nécessité d’un congé de plus longue durée.

La mesure se distingue ainsi de la suspension à titre conservatoire relevant du pouvoir disciplinaire et des congés de maladie ordinaires. Elle vise spécifiquement les situations où l’état de santé de l’agent présente un danger pour les usagers du service public, en l’occurrence les élèves.

Une interprétation stricte des conditions d’application

Le tribunal administratif de Marseille adopte une lecture rigoureuse des conditions permettant le recours au congé d’office. Les juges exigent que trois éléments cumulatifs soient démontrés : un état physique ou mental altéré, une impossibilité d’exercer normalement les fonctions et surtout, un danger immédiat pour les enfants.

En l’espèce, le tribunal reconnaît l’existence de « réelles difficultés relationnelles » entre l’enseignante et son entourage professionnel ainsi qu’un « comportement inadapté ». Toutefois, ces éléments, qui relèvent davantage de problèmes relationnels au sein de l’établissement, ne suffisent pas à caractériser les conditions légales du congé d’office.

Le jugement souligne qu’« aucune pièce ne permet d’établir que son état physique ou mental l’empêchait d’exercer normalement ses fonctions et faisait courir un danger immédiat aux enfants ». Cette formulation est essentielle : elle distingue clairement les tensions professionnelles, aussi préoccupantes soient-elles, d’une véritable impossibilité d’exercer les fonctions enseignantes liée à un état pathologique.

La prise en compte des éléments favorables

Le tribunal ne se contente pas de relever l’insuffisance des éléments à charge. Il examine également les pièces favorables à l’enseignante, notamment un courrier du 26 mars 2021 du même inspecteur qui la décrivait comme « une enseignante sérieuse et consciencieuse », « particulièrement épanouie dans son positionnement de coordinatrice d’UPE2A ». Cette contradiction dans l’appréciation portée sur l’enseignante, à moins d’un an d’intervalle, affaiblit considérablement la démonstration du caractère objectif et avéré du danger allégué.

Cette approche témoigne d’un contrôle approfondi de la réalité des motifs invoqués par l’administration. Le juge administratif ne se borne pas à vérifier l’existence formelle d’un rapport négatif, mais examine la cohérence d’ensemble du dossier et la qualification exacte des faits reprochés.

L’absence de consultation du conseil médical

Le tribunal écarte l’argument du recteur selon lequel le conseil médical n’aurait pas pu être consulté en raison du refus de l’intéressée de se rendre aux convocations. La saisine du médecin de prévention étant postérieure à la décision attaquée (2 mai 2022 pour un arrêté du 5 avril 2022), cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision.

Cette analyse révèle un problème de méthode dans l’action administrative : le congé d’office a été prononcé sans qu’aucune évaluation médicale préalable n’ait été réalisée, l’administration s’étant fondée uniquement sur des rapports hiérarchiques évoquant des difficultés comportementales.

Les enseignements de cette décision

Ce jugement rappelle utilement que le congé d’office n’est pas un outil de gestion des conflits professionnels ou des difficultés relationnelles au sein d’un établissement. Il s’agit d’une mesure de protection strictement encadrée, subordonnée à la démonstration d’un danger objectif et immédiat pour les usagers.

L’administration doit être en mesure de produire des éléments probants, idéalement médicaux, établissant non seulement un comportement problématique, mais surtout un état pathologique caractérisé faisant obstacle à l’exercice normal des fonctions. La simple évocation de tensions relationnelles ou d’un emportement ponctuel, aussi regrettables soient-ils, ne saurait suffire.

Cette décision met également en lumière l’importance d’une instruction complète du dossier avant toute décision d’éloignement. Les éléments favorables à l’agent doivent être pris en compte et l’administration ne peut se fonder sur une appréciation unilatérale sans avoir procédé à une évaluation objective et contradictoire de la situation.

Le tribunal administratif de Marseille, en annulant l’arrêté litigieux sanctionne ainsi une erreur d’appréciation caractérisée. Cette décision constitue une protection nécessaire des droits des agents publics face à des mesures d’éloignement qui, bien que provisoires et conservant le traitement, n’en demeurent pas moins attentatoires à leur dignité professionnelle et à leur réputation.

TA Marseille, 2e ch., 24 septembre 2025, n° 2207003