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L’affectation sur poste adapté des enseignants : quand l’administration doit justifier ses refus

Le tribunal administratif de Poitiers vient de rendre une ordonnance de référé-suspension particulièrement éclairante sur les obligations qui pèsent sur l’administration lorsqu’elle refuse d’accorder à un enseignant une affectation sur un poste adapté pour raisons de santé. Cette décision du 15 septembre 2025 rappelle avec fermeté que les impératifs de protection de la santé des agents publics ne sauraient être écartés par des motivations lapidaires ou des considérations purement formelles.

L’affaire concernait une professeure des écoles atteinte d’une pathologie hématologique maligne incurable, actuellement en rémission mais dont la rechute était présentée comme inévitable par le corps médical. Après avoir exercé pendant plusieurs années comme correctrice au CNED dans le cadre d’un poste adapté de courte durée, cette enseignante s’était vu refuser le renouvellement de son affectation et avait été replacée sur un poste en école maternelle, l’exposant ainsi à un contact rapproché avec de jeunes enfants alors même qu’elle était considérée comme immunodéprimée.

Le dispositif des postes adaptés, codifié aux articles R. 911-12 et suivants du code de l’éducation, constitue un mécanisme essentiel de maintien dans l’emploi des personnels enseignants confrontés à une altération de leur état de santé. Le législateur a prévu deux catégories distinctes : les postes adaptés de courte durée, destinés à permettre aux agents de recouvrer la plénitude de leurs fonctions, et les postes adaptés de longue durée, conçus pour ceux dont l’état de santé nécessite un aménagement durable. Les premiers sont accordés pour un an renouvelable dans la limite de trois ans, tandis que les seconds peuvent être attribués pour quatre ans renouvelables.

Dans cette affaire, l’administration avait invoqué la durée maximale de trois ans pour refuser le renouvellement du poste adapté de courte durée. Pourtant, la requérante avait expressément sollicité, dans son recours administratif, une affectation sur un poste adapté de longue durée, manifestant ainsi sa compréhension du fait que son état de santé nécessitait un aménagement pérenne plutôt que temporaire. Face à cette demande explicite, l’administration s’était contentée d’opposer une formule aussi brève qu’énigmatique : « la priorité aux soins est recommandée ».

C’est précisément sur ce point que le juge des référés a identifié un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées. La motivation des actes administratifs constitue une garantie fondamentale pour les administrés, qui doivent pouvoir comprendre les raisons pour lesquelles leur demande a été rejetée afin, le cas échéant, de contester utilement la décision. En l’espèce, la formule employée par l’administration ne permettait nullement à l’intéressée de saisir les motifs réels du refus. S’agissait-il de considérer qu’elle devait cesser toute activité professionnelle pour se consacrer exclusivement à ses soins ? Estimait-on que son état de santé ne permettait plus l’exercice d’aucune fonction, y compris adaptée ? Ces questions essentielles restaient sans réponse.

Le juge relève avec une sévérité mesurée mais notable que l’administration n’a pas établi, ni même allégué, avoir consulté le médecin de prévention avant de prendre sa décision. Cette omission est d’autant plus critiquable que la situation médicale en cause présentait une complexité certaine, nécessitant une évaluation précise des risques et des capacités résiduelles de l’agent. Le droit de la fonction publique impose pourtant que les décisions relatives à l’aptitude des agents et aux aménagements de leurs conditions de travail soient prises après avis du médecin de prévention, garant d’une approche médicale objective.

Sur la question de l’urgence, condition nécessaire au prononcé d’une suspension en référé, le tribunal adopte une approche pragmatique et protectrice. Face à une enseignante immunodéprimée atteinte d’une pathologie incurable, l’exposition quotidienne à de jeunes enfants en milieu scolaire, même à mi-temps, constitue objectivement un risque sanitaire sérieux. Le juge écarte l’argument de l’administration selon lequel la proximité géographique du poste et l’octroi d’un mi-temps thérapeutique suffiraient à écarter l’urgence. Ces aménagements, pour utiles qu’ils soient, ne suppriment pas le risque inhérent au contact avec une population d’enfants en bas âge, particulièrement porteuse de pathogènes divers.

Le raisonnement du juge s’inscrit dans une jurisprudence désormais bien établie rappelant les obligations de l’administration en matière d’adaptation des postes de travail. Lorsqu’un agent sollicite un tel aménagement en raison d’une altération de son état de santé, il appartient à l’autorité compétente de rechercher effectivement si la demande peut être satisfaite compte tenu des nécessités du service. Cette recherche ne saurait se limiter à une appréciation purement formelle ou à l’invocation de principes généraux. Elle doit être concrète, documentée et, surtout, motivée de manière à permettre au requérant de comprendre les raisons du refus éventuel.

En l’espèce, le juge constate que l’administration n’a fait état d’aucune nécessité de service qui aurait justifié de refuser l’affectation demandée au CNED. Elle n’a pas davantage contesté les éléments médicaux produits par la requérante. Cette carence dans l’argumentation administrative est d’autant plus problématique que la requérante avait déjà exercé ses fonctions de correctrice au CNED pendant plusieurs années sans difficulté apparente, démontrant ainsi la compatibilité de ce type de poste avec son état de santé.

L’ordonnance souligne également l’inadéquation manifeste entre la situation médicale de l’agent et la décision prise. Réaffecter une enseignante immunodéprimée en école maternelle, où le risque de contamination est particulièrement élevé, alors qu’elle sollicitait précisément un poste lui permettant d’exercer ses fonctions sans s’exposer à de tels risques, constitue une erreur manifeste d’appréciation. Le juge rappelle ainsi que l’administration ne saurait se retrancher derrière le principe général selon lequel les professeurs des écoles ont vocation à exercer devant les enfants pour imposer une affectation incompatible avec l’état de santé d’un agent.

Cette décision emporte des conséquences pratiques importantes. Le juge ordonne non seulement la suspension des décisions contestées, mais enjoint également à l’administration de réexaminer la demande dans un délai de trois semaines. Ce réexamen devra nécessairement être plus approfondi, mieux motivé et prendre en compte l’ensemble des éléments médicaux pertinents. L’administration devra également s’interroger sur l’existence éventuelle de nécessités de service qui s’opposeraient à l’affectation sollicitée, et le cas échéant, les expliciter précisément.

Au-delà du cas d’espèce, cette ordonnance constitue un rappel salutaire des principes gouvernant l’adaptation des postes de travail dans la fonction publique. Elle souligne que la protection de la santé des agents ne saurait être sacrifiée à une application mécanique des textes ou à des considérations budgétaires tacites. Elle rappelle également l’importance d’une motivation substantielle des décisions administratives, particulièrement lorsqu’elles touchent à des droits aussi fondamentaux que la santé et le maintien dans l’emploi. Les administrations doivent donc veiller à instruire ces demandes avec le sérieux qu’elles méritent, en s’appuyant sur une expertise médicale appropriée et en recherchant effectivement les solutions susceptibles de concilier l’état de santé des agents avec les nécessités du service public.

 

TA Poitiers, 15 sept. 2025, n° 2502669