Le tribunal administratif de Nantes a rendu le 6 octobre 2025 un jugement exemplaire qui rappelle avec force l’exigence de respect des garanties procédurales dans le cadre de mesures à caractère de sanction. Cette décision, qui annule la radiation d’un délégué départemental de l’éducation nationale, illustre la vigilance du juge administratif face à une accumulation de vices procéduraux qui, pris ensemble, ont privé l’intéressé de garanties fondamentales.
Le contexte et les fonctions de délégué départemental
Monsieur A avait été nommé le 1er avril 2021 délégué départemental de l’éducation nationale pour la circonscription Nantes 4, pour une durée de quatre ans à compter du 1er septembre 2021. Les délégués départementaux de l’éducation nationale constituent des acteurs importants de la communauté éducative, chargés notamment de visiter les écoles et de veiller aux conditions matérielles d’accueil des élèves. Leur nomination et leur maintien en fonction reposent sur la confiance de l’administration.
À peine un an après sa nomination, l’inspectrice d’académie a mis fin aux fonctions de Monsieur A par une décision du 24 octobre 2022, après avis du conseil départemental de l’éducation nationale du 20 octobre précédent. Cette décision rapide et la procédure qui l’a précédée ont donné lieu à de multiples irrégularités sanctionnées par le tribunal.
Une motivation insuffisante
Le premier vice relevé par le tribunal concerne l’insuffisance de motivation de la décision attaquée. L’article L. 211-5 du code des relations entre le public et l’administration exige que la motivation soit écrite et comporte l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. Cette exigence est d’autant plus impérative que la décision présente un caractère de sanction.
En l’espèce, la décision de radiation se bornait à rappeler la procédure mise en œuvre sans présenter les motifs de fait et de droit, tirés notamment de l’intérêt du service, qui la fondaient. Si elle mentionnait l’avis du conseil départemental de l’éducation nationale du 20 octobre 2022, elle ne comportait pas ce document en annexe. Le requérant n’avait donc pas eu connaissance des motifs précis justifiant sa radiation.
Le tribunal rejette l’argument de la rectrice selon lequel Monsieur A aurait obtenu communication de ces motifs par l’intermédiaire du compte-rendu de l’audience du 6 octobre 2022, qui lui avait été communiqué le 13 octobre suivant. La motivation doit figurer dans la décision elle-même ou dans un document qui y est annexé et auquel elle se réfère expressément. Une communication antérieure ou parallèle ne saurait suppléer l’absence de motivation de l’acte contesté.
Cette exigence protège les droits de l’administré en lui permettant de comprendre immédiatement les raisons de la mesure prise à son encontre et d’apprécier l’opportunité d’un recours. Elle constitue également un élément de transparence administrative et oblige l’administration à formaliser son raisonnement.
Une atteinte caractérisée aux droits de la défense
Le deuxième vice, particulièrement grave, concerne le respect du principe des droits de la défense. Le tribunal rappelle que ce principe général, renforcé par les articles L. 121-1, L. 122-1 et L. 122-2 du code des relations entre le public et l’administration, suppose que la personne visée par une mesure à caractère de sanction soit informée avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction des griefs formulés à son encontre, et soit mise à même de demander la communication des pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus.
La chronologie des faits révèle une procédure manifestement irrégulière. Monsieur A a été convoqué le 22 septembre 2022 à une audience fixée au 6 octobre suivant en raison de « faits signalés ou attitudes très inappropriées de sa part », formulation extrêmement vague. Bien qu’il ait demandé par courriel le jour même que lui soient précisés les faits reprochés, il n’a eu connaissance de ces faits que tardivement, lors de l’audience elle-même. Il a notamment découvert à cette occasion la teneur de courriers des 29 juillet et 28 septembre 2022 à l’origine de la procédure engagée contre lui.
Plus grave encore, Monsieur A n’a jamais obtenu communication de l’intégralité de son dossier, et notamment de l’avis du conseil départemental de l’éducation nationale qui pourtant fondait la décision attaquée. Cette situation prive l’intéressé de toute possibilité de préparer utilement sa défense et de contester les éléments retenus contre lui. Le tribunal juge à juste titre que cette atteinte aux droits de la défense a privé le requérant d’une garantie substantielle.
L’irrégularité de composition du conseil consulté
Le troisième vice procédural identifié par le tribunal concerne la composition du conseil départemental de l’éducation nationale qui a émis l’avis du 20 octobre 2022. Le tribunal constate qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que cette instance était régulièrement composée en application des articles R. 235-1 et suivants du code de l’éducation.
Cette irrégularité n’est pas anodine. Lorsqu’une consultation est obligatoire, elle doit être effectuée dans des conditions garantissant sa légalité, ce qui implique notamment que l’organe consulté soit régulièrement constitué. À défaut, la consultation ne peut être regardée comme ayant été régulièrement effectuée, ce qui entache la décision finale d’un vice de procédure. Le tribunal considère à nouveau que cette irrégularité a privé le requérant d’une garantie.
L’erreur sur l’étendue de sa compétence
Le quatrième et dernier vice relevé par le tribunal est d’une nature différente mais tout aussi déterminant. Il ressort de la décision attaquée que l’inspectrice d’académie s’est bornée à prendre acte de l’avis émis par le conseil départemental de l’éducation nationale, sans se l’approprier ni porter la moindre appréciation personnelle sur la situation du requérant.
Cette attitude révèle que l’autorité administrative s’est crue à tort en situation de compétence liée, alors qu’elle disposait d’un pouvoir d’appréciation. L’avis du conseil, même s’il constitue un élément important de la procédure, ne lie pas l’administration. Celle-ci conserve le pouvoir de s’en écarter si elle l’estime justifié. En s’abstenant d’exercer ce pouvoir et en se bornant à entériner mécaniquement l’avis reçu, l’inspectrice d’académie a entaché sa décision d’une erreur de droit.
Cette erreur révèle un défaut d’examen personnalisé de la situation. L’administration doit toujours exercer pleinement sa compétence et ne peut se défausser sur un organe consultatif, même régulièrement constitué et saisi dans les formes légales.
Une annulation totale sans examen des autres moyens
Face à ce cumul de vices substantiels, le tribunal prononce l’annulation de la décision attaquée sans même examiner les autres moyens soulevés par le requérant, qui portaient notamment sur des erreurs matérielles, des erreurs de fait et une erreur manifeste d’appréciation. Cette économie de moyens est justifiée par l’évidence des vices procéduraux constatés.
Le tribunal condamne également l’État à verser 1 200 euros au conseil du requérant au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridictionnelle, sous réserve que l’avocat renonce à percevoir le bénéfice de l’aide juridictionnelle dont son client a bénéficié.
Les enseignements de cette décision
Ce jugement constitue un rappel salutaire des exigences procédurales qui s’imposent à l’administration lorsqu’elle envisage de prendre une mesure à caractère de sanction. La multiplication des vices constatés témoigne d’une précipitation et d’un défaut de rigueur dans la conduite de la procédure.
Pour les praticiens, cette décision rappelle l’importance de vérifier systématiquement le respect de chaque étape procédurale : motivation suffisante de la décision, information précise et préalable des griefs, communication du dossier complet, composition régulière des organes consultés et exercice effectif du pouvoir d’appréciation par l’autorité compétente. La négligence de l’une quelconque de ces garanties peut suffire à entraîner l’annulation de la décision.
Ce jugement illustre également la fonction protectrice du droit administratif, qui ne se limite pas à organiser l’action administrative mais garantit aussi les droits fondamentaux des personnes face aux décisions défavorables qui les concernent.
TA Nantes, 10e ch., 6 octobre 2025, n° 2216047