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Requalification par le juge d’un CDD en CDI d’un agent public contractuel

La Cour administrative d’appel de Nantes nous livre, avec son arrêt du 19 décembre 2023, une décision particulièrement protectrice des droits des enseignants contractuels de l’enseignement supérieur. Cette affaire illustre la manière dont le juge administratif fait primer la substance sur la forme lorsqu’il s’agit d’appliquer les règles de transformation automatique des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée.

Les faits s’inscrivent dans un parcours professionnel classique au sein de l’université. Une enseignante vacataire recrutée en 2003 voit sa situation stabilisée en 2011 par un premier contrat à durée déterminée de trois ans, renouvelé une première fois pour la même durée en 2014, puis une seconde fois en 2017 pour une période plus courte de dix mois. À l’issue de ce dernier contrat, l’Université de Nantes refuse de le renouveler. L’enseignante sollicite alors la requalification de son dernier contrat en contrat à durée indéterminée, invoquant son ancienneté de six années consécutives dans les mêmes fonctions.

L’intérêt majeur de cette décision réside dans l’analyse juridique minutieuse que la cour opère de l’articulation entre plusieurs corpus normatifs. Elle doit en effet démêler l’écheveau complexe formé par les dispositions de la loi du 11 janvier 1984 sur la fonction publique d’État, celles du code de l’éducation relatives aux personnels enseignants, et le régime spécifique applicable aux universités bénéficiant de responsabilités et compétences élargies.

La cour commence par rappeler le principe général selon lequel les agents non titulaires de l’enseignement supérieur sont recrutés en application de l’article L. 951-2 du code de l’éducation, qui renvoie lui-même aux articles 4 et 6 de la loi de 1984. Elle précise ensuite que les agents chargés de fonctions d’enseignement relèvent soit de l’article L. 952-1 du code de l’éducation, soit, pour les universités aux compétences élargies, de l’article L. 954-3 du même code.

C’est sur ce dernier article que se cristallise le débat. L’université soutenait que la requérante avait été recrutée sur le fondement de l’article L. 952-1, qui vise les enseignants associés, invités ou chargés d’enseignement nécessairement recrutés pour une durée déterminée. Cette qualification aurait eu pour conséquence d’exclure l’application du mécanisme de transformation automatique prévu par l’article 6 bis de la loi de 1984, qui impose la conclusion d’un contrat à durée indéterminée après six années de services.

La cour administrative d’appel balaie cette argumentation avec une clarté remarquable. Elle examine les mentions figurant dans les contrats successifs et constate que tous, y compris le dernier, visent explicitement l’article L. 954-3 du code de l’éducation. Elle en déduit que l’engagement de l’enseignante est bien intervenu sur ce fondement, qui constitue l’une des modalités d’application des conditions de recrutement posées par l’article L. 951-2, lequel renvoie aux dispositions de la loi de 1984 limitant à six ans la durée maximale des contrats à durée déterminée successifs.

La conséquence juridique de cette qualification est décisive. Dès lors que l’enseignante justifiait, au 1er novembre 2017, d’une ancienneté de six ans dans les mêmes fonctions auprès du même employeur, son dernier contrat était réputé, de plein droit, avoir été conclu pour une durée indéterminée. Cette transformation s’opère automatiquement, par le simple effet de la loi, indépendamment de la volonté des parties et nonobstant les mentions contraires du contrat.

La cour écarte avec pertinence l’argument tiré de l’absence d’avis préalable du comité de sélection pour le dernier contrat. Cette irrégularité procédurale est sans incidence sur la nature du contrat ni sur la légalité des décisions contestées. Le juge fait ainsi prévaloir la protection substantielle de l’agent sur le respect formel des procédures de recrutement.

Les conséquences pratiques de cet arrêt sont importantes. D’une part, la décision refusant la requalification est annulée. D’autre part, et plus significativement encore, la décision de non-renouvellement du contrat est également annulée au motif que le président de l’université ne pouvait légalement décider de ne pas renouveler un contrat qui était en réalité à durée indéterminée. La cour enjoint donc à l’université de procéder à la réintégration juridique rétroactive de l’enseignante au 1er septembre 2018 et à la reconstitution de ses droits sociaux.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence désormais bien établie visant à lutter contre la précarité dans la fonction publique et à garantir l’effectivité des mécanismes de stabilisation prévus par le législateur. Elle rappelle que les établissements d’enseignement supérieur, même dotés d’une large autonomie de gestion, ne peuvent se soustraire aux règles protectrices du droit de la fonction publique en jouant sur les qualifications juridiques.

Pour les praticiens, l’enseignement est clair : l’analyse des fondements juridiques des contrats successifs prime sur leur qualification formelle, et la transformation en contrat à durée indéterminée s’impose dès que les conditions d’ancienneté sont remplies, quelles que soient les irrégularités ayant pu affecter la procédure de recrutement.

CAA, 6e ch., 19 déc. 2023, n° 22NT01568.