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Les propos ayant un caractère raciste, homophobe et injurieux ne sauraient entrer dans le cadre de la liberté pédagogique garantie aux enseignants

La Cour administrative d’appel de Nancy livre dans cet arrêt une décision nuancée sur les conditions de licenciement d’un agent contractuel de l’État en période d’essai. L’affaire illustre la tension entre le respect des garanties procédurales dues aux agents publics et la nécessité pour l’administration de réagir rapidement face à des comportements gravement inappropriés.

Les faits et la procédure

Un enseignant contractuel, recruté pour dispenser des cours de français et philosophie dans un établissement d’enseignement agricole, a tenu devant ses élèves des propos qualifiés de racistes, homophobes et injurieux. Recruté le 1er septembre 2020, il a été licencié dès le 28 septembre par le directeur de l’établissement, avant qu’un arrêté ministériel ne confirme cette décision le 29 septembre 2020, soit avant la fin de sa période d’essai de deux mois.

L’agent a contesté son licenciement et réclamé 20 334 euros de dommages et intérêts. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait annulé la décision du directeur mais rejeté sa demande indemnitaire. L’enseignant a formé appel sur ce second point.

Une clarification nécessaire sur l’autorité compétente

La Cour rappelle d’abord un principe fondamental en droit de la fonction publique : seule l’autorité de nomination peut prononcer un licenciement. En l’espèce, le ministre de l’agriculture, qui avait recruté l’agent et le rémunérait sur le budget de l’État, était seul compétent pour mettre fin au contrat. La décision du directeur d’établissement était donc entachée d’incompétence, mais elle a été implicitement retirée par l’arrêté ministériel ultérieur.

Cette précision technique souligne l’importance du respect des compétences respectives au sein de l’administration, particulièrement dans les établissements publics d’enseignement où la chaîne hiérarchique peut parfois sembler floue.

La période d’essai s’impose malgré l’absence de signature

Point remarquable de l’arrêt : la Cour considère que l’agent était bien soumis à une période d’essai, bien qu’il n’ait jamais signé son contrat. Cette solution s’appuie sur le principe selon lequel les agents contractuels de l’État se trouvent dans une situation légale et réglementaire, et non purement contractuelle. L’article 5 du décret du 22 octobre 1968 prévoit automatiquement une période d’essai de deux mois pour les enseignants contractuels de l’enseignement agricole, indépendamment de toute stipulation contractuelle.

Cette analyse est cohérente avec la jurisprudence administrative qui privilégie l’application du droit public aux agents de l’État, même en présence d’un contrat. L’absence de signature du contrat par l’agent ne fait pas obstacle à l’application des règles statutaires qui s’imposent à lui.

Des garanties procédurales nécessaires mais insuffisantes

La Cour reconnaît que le licenciement en période d’essai, bien que simplifié, n’est pas dépourvu de toute garantie. Elle affirme qu’une telle décision, prise en considération de la personne de l’agent, exige que celui-ci puisse demander la communication de son dossier et présenter ses observations. En l’espèce, l’agent n’a pas été reçu en entretien par le ministre et n’a pas pu consulter son dossier avant l’arrêté du 29 septembre 2020. L’irrégularité procédurale est donc établie.

Cette exigence procédurale s’inscrit dans le respect des droits de la défense, principe général du droit administratif, qui s’applique même aux mesures prises en période d’essai. La Cour refuse ainsi l’idée d’un pouvoir discrétionnaire absolu de l’administration durant cette période.

La théorie du bilan : quand la gravité des faits efface le vice de procédure

Cependant, et c’est là l’enseignement majeur de l’arrêt, la Cour applique la jurisprudence désormais classique sur les conséquences indemnisables des vices de procédure. Elle recherche si, dans le cadre d’une procédure régulière, la même décision aurait été prise. La réponse est sans équivoque : compte tenu de la nature des propos tenus, caractère raciste, homophobe et injurieux ne pouvant s’inscrire dans le cadre de la liberté pédagogique, le licenciement était pleinement justifié et proportionné.

La Cour écarte les attestations produites par l’agent concernant son professionnalisme lors de remplacements ultérieurs, les jugeant insuffisantes pour remettre en cause la matérialité des faits reprochés, établie par les témoignages des élèves.

Conclusion pratique

Cet arrêt offre plusieurs leçons pour les praticiens. D’une part, il confirme que le régime simplifié du licenciement en période d’essai ne dispense pas l’administration du respect de garanties minimales. D’autre part, il illustre les limites de l’action indemnitaire fondée sur un vice de procédure lorsque le bien-fondé de la décision au fond est incontestable. L’irrégularité procédurale, même avérée, ne donne pas automatiquement droit à réparation si l’issue de la procédure régulière aurait été identique.

Pour les administrations, la décision invite à la prudence : mieux vaut respecter scrupuleusement la procédure, même en période d’essai, plutôt que de s’exposer à une annulation contentieuse, même si celle-ci reste sans conséquence indemnitaire.

CAA Nancy, 2e ch., 6 juill. 2023, n° 21NC03099.