Le Tribunal administratif de Marseille nous livre, avec son jugement du 27 novembre 2023, une décision qui rappelle utilement que l’administration doit fonder ses décisions d’affectation sur une appréciation exacte des situations de fait dont elle a connaissance. Cette affaire, apparemment banale en ce qu’elle concerne le mouvement annuel des professeurs des écoles, révèle en réalité les tensions qui peuvent exister entre les contraintes gestionnaires et le respect des droits individuels des agents.
Les faits s’inscrivent dans le contexte particulier du printemps 2020, marqué par la crise sanitaire et le confinement. Une professeure des écoles remplaçante, affectée provisoirement à l’école des Cabassols à Venelles pour l’année 2019-2020, participe au mouvement intra-départemental en vue d’obtenir un poste définitif pour la rentrée suivante. Elle sollicite en premier vœu l’école où elle exerce déjà, choix logique et légitime pour un enseignant souhaitant stabiliser sa situation. Le 4 juin 2020, le recteur lui notifie son affectation à l’école Léonce Artaud à Eguilles, son huitième choix seulement.
La requérante fait valoir qu’elle n’a pas obtenu son premier vœu au motif erroné que le poste demandé n’était pas vacant, alors même qu’elle souffre d’une pathologie chronique et invalidante lui conférant une priorité légale pour l’obtention d’un poste fixe proche de son domicile. Cette double dimension, factuelle et juridique, confère à l’affaire une portée qui dépasse le simple contentieux de gestion administrative.
Le tribunal commence par rappeler le cadre juridique applicable, en citant l’article 60 de la loi du 11 janvier 1984 qui impose à l’autorité compétente de procéder aux mutations en tenant compte des besoins du service, tout en considérant les demandes des intéressés et leur situation de famille. Cet article prévoit notamment une priorité au profit des fonctionnaires en situation de handicap, élément qui n’est pas neutre dans le cas d’espèce même si le tribunal n’aura pas besoin de l’examiner pour statuer.
Le cœur du débat porte sur la vacance du poste sollicité en premier vœu. Le rectorat soutient que l’administration n’avait pas encore instruit et entériné la demande de départ en retraite du titulaire du poste à la date du mouvement intra-départemental, raison pour laquelle ce poste n’a pu être considéré comme vacant et a finalement été pourvu hors mouvement, à titre provisoire. Cette argumentation repose sur une conception formelle de la notion de vacance, liée à l’aboutissement complet de la procédure administrative.
Le tribunal rejette cette approche avec une rigueur salutaire. Il relève que le titulaire du poste avait formé sa demande de départ en retraite dès le 1er janvier 2020, soit plusieurs mois avant le mouvement. Plus encore, une décision du 10 mars 2020 le plaçait en retraite de manière rétroactive à compter du 1er septembre 2020, et l’intéressé avait sollicité une estimation de sa pension auprès du service des retraites de l’État, qui lui avait répondu le 3 mars 2020. Ces éléments démontrent sans équivoque que la procédure était largement engagée et connue des services.
Le tribunal fait preuve de pragmatisme en reconnaissant les difficultés de personnel rencontrées pendant le confinement, mais refuse d’en faire un motif exonératoire. Il considère que le rectorat avait nécessairement connaissance du départ en retraite qui laissait le poste vacant. Cette analyse repose sur une lecture substantielle de la notion de vacance : un poste est vacant non pas au moment où tous les actes formels sont accomplis, mais dès lors que l’administration sait avec certitude qu’il le sera à la rentrée suivante.
La conséquence juridique de cette appréciation erronée est limpide : le motif de refus du premier choix étant entaché d’erreur de fait, la décision d’affectation à Eguilles doit être annulée. Le tribunal fait ainsi prévaloir la réalité matérielle sur le formalisme administratif, rappelant que les décisions de gestion doivent s’appuyer sur une connaissance exacte des situations.
Sur les conclusions à fin d’injonction, le tribunal fait preuve de réalisme. Il constate que le poste initialement sollicité est désormais pourvu et que la requérante a depuis été affectée à l’école Marcel Pagnol, également située à Venelles et proche de son domicile comme de l’école des Cabassols. Cette nouvelle affectation répond manifestement à ses besoins, rendant inutile toute mesure de réintégration. Le tribunal rejette donc les conclusions indemnitaires, considérant sans doute que l’annulation contentieuse suffit à réparer le préjudice subi.
Cette décision illustre parfaitement la fonction régulatrice du juge administratif en matière de gestion des ressources humaines. Elle rappelle que l’administration ne peut se retrancher derrière ses propres lenteurs ou désorganisations pour justifier des décisions fondées sur une appréciation inexacte des faits. Le contexte sanitaire exceptionnel ne saurait légitimer une méconnaissance d’informations dont les services disposaient depuis plusieurs mois.
Pour les praticiens du droit de la fonction publique, l’enseignement est clair : la notion de vacance d’un poste doit s’apprécier au regard de la connaissance effective qu’en a l’administration, et non selon l’achèvement formel des procédures internes. Cette jurisprudence protège les agents contre l’arbitraire administratif tout en incitant les services à une meilleure circulation de l’information en leur sein.
TA Marseille, 4e ch., 27 nov. 2023, n° 2005273.