Le juge des référés du Tribunal administratif de Pau suspend dans cette ordonnance l’exécution d’un licenciement pour insuffisance professionnelle prononcé à l’encontre d’une secrétaire de mairie. Cette décision illustre de manière exemplaire les exigences procédurales et substantielles que doit respecter une collectivité territoriale lorsqu’elle envisage de licencier un agent titulaire pour ce motif. Elle rappelle que l’insuffisance professionnelle ne se présume pas et nécessite un accompagnement préalable de l’agent.
Le contexte d’un licenciement contesté
Madame A avait été recrutée en mars 2018 par la commune de Berdoues comme secrétaire de mairie sous contrat à durée déterminée, avant d’être titularisée en février 2020 au grade d’adjoint administratif territorial. En tant qu’agent intercommunal à temps non complet, elle exerçait ses fonctions dans deux communes : Berdoues et Saint-Martin. Bénéficiaire d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, elle avait été placée en congé de maladie ordinaire le 23 décembre 2021.
Après avoir engagé une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle en juin 2023, malgré un avis défavorable de la commission administrative paritaire rendu en septembre, la maire de Berdoues a prononcé le licenciement de l’agent par arrêté du 30 novembre 2023, avec effet au 31 décembre suivant. Ce licenciement devait produire ses effets non seulement auprès de la commune de Berdoues, mais également auprès de la commune de Saint-Martin, compte tenu de la qualité d’agent intercommunal de Madame A.
Une urgence caractérisée par la perte d’emploi
Le juge des référés reconnaît sans difficulté la condition d’urgence. La décision de licenciement a pour effet de radier l’agent des cadres et de lui faire perdre la qualité de fonctionnaire auprès des deux communes où elle exerce, la privant ainsi de tout emploi et de toute rémunération. Le bouleversement dans les conditions d’existence est manifeste.
Le juge rejette l’argument de la commune selon lequel l’agent conserverait des droits aux prestations de l’assurance maladie et invalidité en tant qu’ancien fonctionnaire. Cette protection sociale, bien que réelle, ne suffit pas à compenser la perte d’emploi et de rémunération. Le juge souligne également le retentissement professionnel et psychologique de la mesure, d’autant plus important que le licenciement intervient dans le contexte d’une demande d’imputabilité au service de la maladie qui avait justifié le placement en congé de maladie ordinaire.
Cette appréciation témoigne d’une approche réaliste et humaine de la notion d’urgence, prenant en compte la dimension globale du préjudice subi par l’agent au-delà de la seule dimension financière immédiate.
Les carences dans la gestion de carrière de l’agent
L’analyse du doute sérieux sur la légalité de l’arrêté révèle plusieurs défaillances graves dans la gestion de l’agent par la commune de Berdoues. Le juge identifie trois éléments déterminants qui, combinés, créent un doute sérieux sur la caractérisation de l’insuffisance professionnelle.
Premièrement, l’absence de fiche de poste déterminant les fonctions précises attendues de Madame A depuis sa titularisation au grade d’adjoint administratif territorial. Comment reprocher à un agent de ne pas réaliser correctement des missions qui n’ont jamais été formellement définies ? La fiche de poste constitue pourtant un document essentiel qui fixe le cadre d’exercice des fonctions et permet d’objectiver les attentes de l’employeur.
Deuxièmement, l’absence d’entretien d’évaluation avant l’entretien du 22 décembre 2021, soit près de deux ans après la titularisation. Les entretiens professionnels annuels ne sont pas de simples formalités administratives. Ils constituent des moments privilégiés pour évaluer la manière de servir, identifier les éventuelles difficultés et mettre en place les mesures d’accompagnement nécessaires. En l’absence d’évaluation régulière, comment l’employeur peut-il invoquer une insuffisance professionnelle durable ?
Troisièmement, l’appréciation positive portée sur la manière de servir de Madame A par la commune de Saint-Martin, où elle exerce pourtant les mêmes fonctions de secrétaire de mairie. Cette divergence d’appréciation est particulièrement révélatrice. Comment un même agent peut-il être considéré comme insuffisant dans une commune et donner satisfaction dans une autre pour des fonctions identiques ? Cette contradiction fragilise considérablement la thèse de l’insuffisance professionnelle intrinsèque.
L’insuffisance de la preuve
Le juge relève également l’absence de preuve des conséquences de la manière de servir de l’agent sur la relation avec les élus ou sur les finances de la commune. Les reproches formulés par la maire de Berdoues sont certes nombreux : erreurs d’orthographe, erreurs dans les actes d’état civil, défaut de rangement, absence de gestion du cimetière, insuffisances dans l’accueil des administrés. Mais ces éléments, énumérés de manière générale, ne sont pas étayés par des preuves concrètes de leur impact réel sur le fonctionnement du service.
L’insuffisance professionnelle ne se réduit pas à une accumulation de griefs. Elle doit être caractérisée par des éléments objectifs et vérifiables démontrant l’incapacité durable de l’agent à exercer correctement ses fonctions malgré les efforts d’accompagnement de l’employeur. En l’espèce, ces conditions ne semblent pas réunies.
Les enseignements pratiques
Cette ordonnance délivre plusieurs messages aux collectivités territoriales. Le licenciement pour insuffisance professionnelle ne peut être utilisé comme un instrument de gestion commode pour se séparer d’un agent sans respecter un cadre procédural rigoureux. Il nécessite une démarche construite et documentée sur la durée.
Les employeurs publics doivent impérativement établir des fiches de poste précises, conduire des entretiens professionnels annuels et mettre en place des mesures d’accompagnement avant d’envisager un licenciement. L’insuffisance professionnelle doit être objectivée, accompagnée et, si possible, corrigée par la formation ou le reclassement.
Pour les agents publics et leurs conseils, cette décision rappelle l’efficacité du référé suspension face à un licenciement pour insuffisance professionnelle lorsque les carences procédurales sont manifestes. La suspension permet d’éviter les conséquences irréversibles d’un licenciement irrégulier en attendant que le juge du fond se prononce sur l’annulation de la décision.
TA Pau, 11 janv. 2024, n° 2303176.