Référés précontractuels / contrats publics – jurisprudences du premier trimestre 2020

Nous vous proposons un point d’étape jurisprudentiel relatif à des décisions intéressantes rendues en 2020 en matière de contrats publics, et notamment de référés précontractuels.

1.Prohibition de l’application d’une hiérarchisation des critères d’analyse des offres non prévus au règlement de consultation

Le tribunal administratif de Pau a annulé la procédure de passation d’un contrat de concession en raison de la mise en  œuvre illicite d’une hiérarchisation des critères non prévue par le règlement de la consultation. Cette décision constitue une illustration classique de la sanction de l’irrespect par un pouvoir adjudicateur des règles qu’il s’est fixé dans son règlement de la consultation.

En matière de concession, et contrairement au droit des marchés publics, il n’est pas exigé de pondérer les critères. Ces derniers peuvent être hiérarchisés voire mis sur un plan d’égalité si le montant du contrat est sous les seuils européens (CE, SIVU de la station d’épuration du Limouxin,  req. n° 407264).

Dans cette affaire, le règlement de la consultation ne prévoyait ni hiérarchisation ni pondération mais indiquait que « Les offres seront appréciées au regard de différents critères, présentés ci-dessous …» .Le tribunal administratif considère qu’il résulte « de cette rédaction que les critères ont tous une égale valeur, les candidats étant incités à les combiner de la façon qui leur paraît la plus appropriée en fonction de leur savoir-faire. »

Or, le pouvoir adjudicateur a indiqué dans le rapport d’analyse des offres que les critères ont été appréciés par ordre décroissant d’importance, c’est à dire hiérarchisés. La procédure est en conséquence annulée compte-tenu de cette mise en œuvre d’une hiérarchisation non prévue par le règlement de la consultation.

Décision : TA Pau, 20 févr. 2020, n° 2000228.

2.Annulation pour absence de recours à la commission d’appel d’offres

Le tribunal administratif de Rennes a rendu une décision illustrant les modalités de calcul du montant d’un marché ainsi que l’obligation de passage devant la commission d’appel d’offres.

En l’espèce, le montant des lots cumulés de la procédure dépassait le seuil européen ; la CAO aurait donc du être saisie, ce qui n’avait pas été le cas. En effet, l’examen des offres par la commission d’appel d’offres (CAO) est obligatoire s’agissant des marchés publics des collectivités territoriales dont la valeur estimée hors taxe prise individuellement est égale ou supérieure aux seuils européens  (article L. 1414-2 du code général des collectivités territoriale). Il est classique par ailleurs que le montant d’un marché s’apprécie en cas d’allotissement, tous lots confondus (Article R.2121-1 du code de la commande publique).

Le tribunal administratif relève à cet égard que « ce manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence a été nécessairement susceptible de léser la société requérante dans la mesure où il appartient à la seule commission de choisir le titulaire du marché. »

Décision commentée : Tribunal administratif de Rennes, 24 février 2020, n° 2000394

3.Modalités d’appréciation d’un offre normalement basse

Une décision de la Cour administrative de Marseille permet de revenir sur les modalités d’appréciation du caractère anormalement bas d’une offre. Dans la décision commentée, l’acheteur avait considéré que le prix d’une tranche conditionnelle du marché était anormalement bas et rejeté l’ensemble de l’offre comme anormalement basse pour ce motif.

Pour écarter ce caractère anormalement bas, et sanctionner pour ce motif la procédure, le juge relève en premier lieu que l’acheteur ne peut utilement invoquer le caractère anormalement bas du prix proposé par la société requérante en ce qui concerne spécifiquement la tranche conditionnelle n° 2 d marché. L’appréciation du caractère anormal bas d’une offre doit en effet se faire « au regard du prix global de l’offre » et non prestation par prestation ou tranche par tranche (CE 13 mars 2019, Sté Sepur, req.n°425191).

La cour administrative procède également à une comparaison avec les autres offres et relève que ce prix n’était que de 12% inférieur à l’offre attributaire. Par ailleurs, si ce prix était inférieur à l’estimation du marché par l’acheteur, ce dernier ne peut s’en prévaloir car il a retenu une offre inférieure de près de 40 % à ce montant.

En outre, le juge relève que l’acheteur n’apporte aucune justification sur l’envoi d’un courrier de demande de justification du prix litigieux (articles R.2152-5 du code de la commande publique). En effet, si l’acheteur produit un courrier, il n’apporte pas la preuve que ce dernier a bien été transmis, puisque le document produit « ne comporte aucune mention et n’est accompagné d’aucune pièce attestant de sa transmission, n’établit pas la réception de cette demande par la société requérante. »

Décision commentée : CAA Marseille, 6e ch., 27 janv. 2020, n° 18MA02886

3.Échange avec les candidats par email et non par la plateforme et doute sur l’heure de réception d’une offre

Nous nous permettons de présenter une jurisprudence « maison » obtenue par le cabinet devant le juge judiciaire dans le cadre d’un référé précontractuel.

Le tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision intéressante s’agissant de la preuve des délais de remise des offres ainsi que de l’obligation de recourir à une plateforme sécurisée. Saisi d’un référé précontractuel, le juge judiciaire sanctionne un double manquement tiré de l’acceptation d’une ultime offre de « hors délai » remise en outre par courriel. Dans cette affaire, l’acheteur avait demandé aux candidats, dans le cadre d’une procédure négociée, de remettre une ultime offre financière par email, sans passer la plateforme.

Or, en matière de marchés publics, il est obligatoire de recourir à une plateforme d’échange, permettant de garantir la traçabilité et l’intégrité des communications (article R.2132-3 du code de la commande publique).  Le juge relève qu’« au regard de ces circonstances, un échange dématérialisé par courriel, même s’agissant d’éléments uniquement financiers, ne pouvait être considéré comme apportant les garanties exigées par la réglementation précitée à laquelle le règlement de consultation s’est soumis. Il est donc notamment susceptible d’avoir restreint les possibilités pour les candidats de communiquer certaines pièces nécessitant de telles garanties. »

En outre, si l’offre avait été envoyée dans le délai prescrit à quelques secondes près, il existait un doute sur l’heure exacte de sa réception par l’acheteur. Le juge du référé précontractuel indique à cet égard « En raison de l’absence de recours à la plateforme d’échanges prévue par le règlement de consultation, il est impossible en l’état de dire si l’offre a été reçue ou non à l’heure prévue. » Il fait ainsi une application de la règle selon laquelle toute offre reçue hors délai doit être rejetée y compris pour un dépassement infinitésimal  (article R.2151-5 du code de la commande publique, TA Dijon, 28 décembre 2018, Sté Numéricarchive, n°1803328).

Décision commentée : Tribunal judiciaire de Paris ,11 mars 2020, N° RG 20/51957

4. Communication de documents relatifs aux capacités non traduits en français

La même affaire commentée précédemment permet de revenir sur l’obligation pour un acheteur de ne pas prendre en compte des documents non traduits en français et de respecter scrupuleusement son règlement de la consultation. Dans cette affaire, le règlement de la consultation imposait que les documents communiqués soient rédigés en français ou, à défaut, retranscrits par une traduction certifiée en français. Or, plusieurs des documents présentés au cours de la phase de « négociation » par la société attributaire l’avaient été en langue allemande contre la règle énoncée par le règlement de consultation.

Cette acceptation qui constituait par elle même un manquement, privait en outre l’acheteur de la possibilité d’exploitation effective des justificatifs sociaux et fiscaux mentionnés aux articles R. 2143-6 et R. 2144-7 du code de la commande publique.

Décision commentée : Tribunal judiciaire de Paris ,11 mars 2020, N° RG 20/51957