Le glas des accords-cadres à bons de commande sans maximum a sonné

Article préalablement publié dans la revue Décision-Achats d’octobre 2021.

La jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, reprise par un décret met fin à la possibilité de conclure des accords cadres à bons de commande sans maximum.

Les acheteurs publics concluent régulièrement des accords cadres à bons de commandes, c’est-à-dire des marchés publics où les quantités des prestations ne sont pas définies à l’avance mais sont commandées au fur et à mesure de l’exécution de l’accord cadre, en fonction des besoins de l’acheteur public. La pratique admettait habituellement que ces derniers puissent être conclus sans montant maximum.

Dans une retentissante décision du 17 juin 2021, la Cour de Justice de l’Union européenne a censuré cette pratique, l’estimant contraire aux principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats[1]. Selon la Cour, il est obligatoire que l’acheteur détermine et indique une quantité ou une valeur maximale contractuelle des prestations qui pourront être commandées. Cette nouvelle règle devrait permettre de garantir la bonne information des opérateurs potentiellement intéressés pour leur permettre d’apprécier leur capacité à exécuter les obligations découlant de l’accord-cadre. L’exigence accrue de transparence était annoncée dès 2019, quand la juridiction européenne avait imposé aux acheteurs d’annoncer dès l’origine le volume global de prestations sur lequel portent leurs accords-cadres, même ceux conclus sans maximum[2]. A l’obligation de fixer une estimation, s’ajoute donc désormais celle de définir un plafond.

Le Gouvernement français a rapidement tiré les conséquences de la décision du 17 juin 2021 en publiant le décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 modifiant les dispositions du code de la commande publique relatives aux accords cadres. Est donc supprimée la possibilité de recourir aux accords-cadres sans maximum (art. R. 2121-8 et R. 2162-4 du code de la commande publique). Il devient donc obligatoire pour les acheteurs publics de définir dans leurs avis de marché ou dans tout autre document accessible sans restriction aux candidats, la quantité ou la valeur maximale des prestations qui pourront être achetées en exécution de l’accord-cadre. En cas de dépassement, l’acheteur devra passer un nouveau marché ou conclure – si cela reste sous les seuils autorisés- un avenant.

Le décret ne prévoit une entrée en vigueur de cette nouvelle règle que pour les marchés passés à compter du 1er janvier 2022. Cependant plusieurs tribunaux ont d’ores et déjà censuré les accords cadres sans maximum en appliquant immédiatement la jurisprudence de la Cour de Justice de l’union européenne puisque cette dernière se fonde sur des principes juridiques déjà en vigueur[3]. Toutes les procédures se trouvent ainsi fragilisées : le défaut de fixation d’un maximum aux accords cadres constitue désormais un possible manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible. Ce manquement peut être invoqué dès aujourd’hui par les candidats évincés devant le juge du référé précontractuel des tribunaux administratifs. Si avec le décret du 23 août 2021, le glas des accords cadres sans maximum a sonné, la (juris)prudence impose de les enterrer sans délai.


 

[1] CJUE, 17 juin 2021, Simonsen & Weel A/S, aff. C-23/20

[2] CJUE, 19 décembre 2018, Autorita della Concorrenza e del Mercato, aff. C-216/17

[3] TA Bordeaux, ord., 23 août 2021, n° 2103959 ; TA Lille, 27 août 2021, n°2106335