Le Tribunal administratif de Versailles vient de rendre une décision éclairante sur les modifications qu’une commune peut apporter à un règlement local de publicité après l’enquête publique. Cette décision, rendue sur le recours de l’Union de la publicité extérieure contre le règlement adopté par Brétigny-sur-Orge, fixe avec précision les contours de ce qui procède ou non de l’enquête publique et rappelle les limites du pouvoir réglementaire local en matière de publicité.
Le contexte et les enjeux
La commune de Brétigny-sur-Orge avait prescrit en juin 2018 la révision de son règlement local de publicité, arrêté son projet en décembre 2019, puis approuvé la version définitive en février 2021. Entre le projet soumis à enquête publique et la version finale, plusieurs modifications avaient été apportées, suscitant la contestation de l’Union de la publicité extérieure qui y voyait tant un vice de procédure qu’une atteinte excessive aux libertés économiques.
Le tribunal devait donc se prononcer sur la régularité procédurale de ces modifications ainsi que sur leur légalité intrinsèque, dans un domaine où s’entrechoquent objectifs environnementaux et libertés économiques.
La jurisprudence sur les modifications post-enquête
Le tribunal rappelle d’abord le principe fondamental gouvernant les modifications apportées après l’enquête publique. L’autorité compétente dispose d’une marge de manœuvre, mais celle-ci est doublement encadrée : les modifications ne doivent pas remettre en cause l’économie générale du projet et doivent procéder de l’enquête elle-même. Cette seconde condition implique que les modifications soient destinées à tenir compte des réserves du commissaire enquêteur, des observations du public ou des avis des instances consultées.
Cette jurisprudence, issue du contentieux de l’urbanisme et étendue aux règlements locaux de publicité, vise à garantir l’effectivité de la participation du public tout en permettant une certaine souplesse dans la finalisation du projet.
La réduction des formats publicitaires : une modification acceptable
S’agissant de la réduction de la surface unitaire des dispositifs publicitaires de 10,50 mètres carrés à 4 mètres carrés dans les zones ZP2 et ZP3, le tribunal considère que cette modification substantielle ne constitue pas pour autant une remise en cause de l’économie générale du projet. Plusieurs arguments justifient cette appréciation.
D’abord, cette réduction procède bien de l’enquête publique puisqu’elle répond aux observations du public et de certaines associations, dont Paysages de France. Ensuite, elle s’inscrit parfaitement dans l’économie d’ensemble du règlement qui visait déjà à interdire la publicité sur une partie importante du territoire et à réduire la taille des dispositifs autorisés. Le rapport de présentation soumis à enquête traduisait sans ambiguïté cette volonté de réduire les formats publicitaires.
Le tribunal souligne également que cette modification ne concerne que les zones ZP2 et ZP3, représentant moins du quart du territoire communal régi par le règlement. L’impact territorial limité de la mesure contribue ainsi à relativiser sa portée sur l’économie générale du projet.
Enfin, le tribunal écarte l’argument selon lequel les nouveaux formats seraient incompatibles avec les standards professionnels et généreraient des surcoûts. Cette considération économique, même réelle, ne suffit pas à elle seule pour caractériser une remise en cause de l’économie du projet. Le juge privilégie ici la finalité environnementale poursuivie par la commune.
L’interdiction des petits formats : un vice de procédure et une incompétence
En revanche, le tribunal censure l’interdiction générale et absolue des dispositifs de petits formats intégrés aux devantures commerciales, et ce pour deux motifs distincts.
Sur le plan procédural, le tribunal constate que le projet soumis à enquête n’interdisait que les dispositifs de petits formats lumineux, tandis que la version approuvée étend l’interdiction à tous les dispositifs de cette catégorie, qu’ils soient lumineux ou non. Or, cette extension ne procède pas de l’enquête publique. Les observations du public ne visaient que des erreurs de renvoi, et le commissaire enquêteur s’était borné à relever une contradiction rédactionnelle. L’élargissement du champ de l’interdiction, qui va bien au-delà de la simple correction d’une incohérence, aurait donc nécessité une enquête publique complémentaire.
Sur le fond, le tribunal rappelle que les articles L. 581-8 et L. 581-14 du code de l’environnement font obstacle à ce qu’un règlement local définisse des interdictions plus restrictives que le règlement national s’agissant de la publicité sur les baies. Or, le code de l’environnement autorise expressément les dispositifs de petits format intégrés aux devantures commerciales, sous certaines conditions. En interdisant purement et simplement ces dispositifs, le conseil municipal a outrepassé sa compétence et méconnu les dispositions législatives qui encadrent son pouvoir réglementaire.
Cette censure illustre un principe essentiel : si les communes disposent d’un large pouvoir de réglementation en matière de publicité extérieure, celui-ci n’est pas illimité et doit s’exercer dans le cadre tracé par le législateur. Certaines catégories de publicité bénéficient d’un régime protecteur que l’autorité locale ne peut remettre en cause, même au nom d’objectifs environnementaux légitimes.
L’absence d’atteinte disproportionnée aux libertés économiques
Le tribunal écarte également le moyen tiré de l’atteinte excessive à la liberté du commerce et de l’industrie. La réduction des formats autorisés, bien que contraignante pour les professionnels, poursuit un objectif légitime de protection du cadre de vie. Le tribunal prend en compte le fait que de nombreux supports existants étaient déjà non conformes à la réglementation nationale. Dans ce contexte, imposer des formats plus restrictifs ne constitue pas une atteinte disproportionnée, d’autant que l’interdiction ne porte pas sur la publicité elle-même mais seulement sur ses dimensions.
Les enseignements
Cette décision rappelle utilement que la marge de manœuvre post-enquête publique, bien que réelle, n’est pas infinie. Toute modification substantielle qui ne trouve pas son origine dans les observations recueillies lors de l’enquête nécessite une nouvelle consultation du public. Par ailleurs, elle confirme l’existence d’un noyau dur de règles nationales que les autorités locales ne peuvent transgresser, même dans l’exercice de leur pouvoir de police spéciale en matière de publicité extérieure.
TA Versailles, 9e ch., 26 déc. 2023, n° 2106823.