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Police administrative et prévention des risques naturels : l’obligation d’une réponse proportionnée

Le tribunal administratif de Nîmes a rendu le 11 avril 2025 un jugement particulièrement instructif sur l’articulation entre les pouvoirs de police générale du maire et la réglementation des plans de prévention des risques naturels. Cette décision illustre l’obligation pour l’autorité de police de prendre des mesures réellement adaptées à l’intensité des risques identifiés, et sanctionne une approche qui se limiterait à des mesures insuffisantes au regard des dangers avérés.

L’affaire concernait le domaine de Barrenques, propriété d’environ six hectares comprenant un château, un moulin, une chapelle et plusieurs bâtiments annexes, situé à Lamotte-du-Rhône. Ce domaine accueillait régulièrement du public pour des réceptions, notamment des mariages, et fonctionnait également comme gîte pouvant héberger une centaine de personnes. La particularité de ce site résidait dans sa localisation en zone rouge du plan de prévention des risques d’inondation, avec un aléa qualifié de fort. Face à cette situation, le préfet de Vaucluse avait mis en demeure le maire à deux reprises, en juin et octobre 2023, de prononcer la fermeture du site au public. Le maire avait finalement édicté un arrêté le 20 novembre 2023, mais en se limitant à une fermeture saisonnière du 1er novembre au 28 février, laissant le domaine ouvert au public pendant les trois quarts de l’année.

Le cadre juridique de cette affaire repose sur l’articulation entre deux corpus normatifs distincts. D’une part, les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales confèrent au maire des pouvoirs de police administrative générale, incluant notamment le soin de prévenir les accidents et fléaux calamiteux tels que les inondations. D’autre part, les articles L. 562-1 et suivants du code de l’environnement organisent l’élaboration par l’État de plans de prévention des risques naturels, qui délimitent les zones exposées et réglementent l’utilisation des sols en fonction de la nature et de l’intensité des risques.

Le tribunal commence par clarifier une question juridique fondamentale : le plan de prévention des risques d’inondation n’est pas directement opposable à une mesure de police administrative générale. Cette affirmation pourrait sembler accorder une large marge de manœuvre au maire, mais le juge précise immédiatement la portée de ce principe. Si le maire n’est pas strictement lié par les prescriptions du PPRI lorsqu’il exerce ses pouvoirs de police générale, il lui appartient néanmoins de prendre des mesures nécessaires, adaptées et proportionnées aux risques naturels. Le PPRI constitue donc un élément d’appréciation essentiel, documentant scientifiquement les risques et leur intensité, même s’il ne s’impose pas mécaniquement aux décisions de police.

En l’espèce, le tribunal procède à une analyse approfondie de la réalité du risque inondation pesant sur le domaine de Barrenques. Cette analyse révèle une situation particulièrement préoccupante. Le préfet démontre, cartes et modélisations à l’appui, qu’à partir d’une crue quinquennale, le domaine se trouve quasiment encerclé par les eaux, ne laissant qu’une seule possibilité d’évacuation par le nord. Plus grave encore, dès qu’une crue décennale survient, le site serait totalement encerclé avec des hauteurs d’eau supérieures à un mètre. Le classement du domaine en zone rouge RP1 du PPRI, où la hauteur de la crue de référence dépasse deux mètres, confirme l’importance du danger.

Le juge s’attache ensuite à démontrer que ce risque ne se limite pas à la période hivernale, contrairement à ce que prétendait le maire pour justifier sa fermeture saisonnière du 1er novembre au 28 février. L’examen des crues historiques depuis le quinzième siècle révèle que des événements majeurs sont survenus en dehors de cette période. Le tribunal mentionne notamment les crues centennales d’octobre 1840 et de mai 1956, qui ont servi de référence pour l’élaboration du PPRI. Ces données historiques établissent que le risque d’inondation est quasi-constant, à l’exception de la période estivale. La mesure de fermeture limitée à quatre mois hivernaux apparaît donc manifestement inadaptée à la réalité du risque encouru.

Le maire tentait de justifier sa décision par plusieurs arguments que le tribunal écarte méthodiquement. D’abord, les comparaisons opérées avec d’autres installations comme la maison de la nature de l’île de la Barthelasse ou le Luna Park d’Avignon sont jugées inopérantes. Le juge relève qu’il n’est établi ni que ces activités seraient analogues en termes de réglementation applicable aux établissements recevant du public, ni que ces terrains présenteraient un risque inondation identique. Cette analyse rappelle que chaque situation doit être appréciée dans sa spécificité, en fonction de la nature exacte des activités exercées et des risques propres au site concerné.

Ensuite, l’argument tiré de la capacité de la commune à organiser une gestion de crise via le plan de sauvegarde communal est également écarté. Le tribunal relève qu’en novembre 2016, ce plan avait effectivement dû être activé, nécessitant l’intervention de plusieurs véhicules de sapeurs-pompiers pour évacuer cent cinquante personnes du château. Plus récemment, en octobre 2024, une nouvelle crue avait imposé une nouvelle activation du plan de sauvegarde. Ces précédents démontrent que le risque n’est pas théorique mais bien réel et récurrent. Si le juge reconnaît que l’organisation de l’alerte semble maîtrisée par la commune et que la cinétique des crues relève du débordement lent, permettant une certaine anticipation, il estime néanmoins que ces éléments ne suffisent pas à justifier le maintien d’activités aussi vulnérables sur le site.

Le raisonnement du tribunal repose sur une appréciation croisée entre l’aléa et la vulnérabilité. L’aléa fort de submersion marine doit être mis en rapport avec la vulnérabilité particulière créée par la nature des activités exercées. Le château fonctionne comme lieu de réception et comme gîte, accueillant du public de jour comme de nuit, parfois par centaines de personnes lors de mariages ou d’événements. Cette présence humaine importante et continue, incluant des personnes en situation de sommeil, constitue un facteur aggravant majeur. Le tribunal note d’ailleurs que l’activité de gîte se pratiquait sans autorisation, ajoutant une irrégularité supplémentaire à la situation.

La décision du tribunal s’inscrit dans une jurisprudence exigeante sur l’obligation pour les autorités de police de prendre des mesures effectives de prévention des risques. Le juge de l’excès de pouvoir contrôle que les mesures édictées sont bien adaptées à l’intensité des risques identifiés. Une mesure insuffisante équivaut à une carence fautive dans l’exercice du pouvoir de police. En l’espèce, limiter la fermeture à quatre mois par an alors que le risque existe pendant au moins neuf mois constitue une inadéquation manifeste entre la réponse administrative et la réalité du danger.

Cette jurisprudence emporte plusieurs enseignements pratiques. Pour les maires confrontés à des situations de risques naturels, elle rappelle qu’ils ne peuvent se contenter de mesures symboliques ou partielles. Même si le PPRI n’est pas directement opposable aux mesures de police générale, il constitue une analyse scientifique et technique des risques qui doit guider l’action administrative. Ignorer ou minimiser les données du PPRI expose à une annulation contentieuse pour insuffisance des mesures prises.

Pour les préfets exerçant leur contrôle de légalité, ce jugement confirme qu’ils peuvent utilement déférer des arrêtés municipaux insuffisants en matière de prévention des risques. Le contrôle juridictionnel porte non seulement sur l’existence d’une mesure de police, mais également sur son caractère adapté et proportionné à l’intensité réelle des risques. Une mesure symbolique ou manifestement insuffisante peut être annulée même si elle ne reste pas totalement inactive.

Cette décision souligne également l’importance d’une instruction approfondie des dossiers de risques naturels. Le préfet avait produit des modélisations précises, des cartes détaillées et des données historiques remontant sur plusieurs siècles. Cette documentation solide a permis au juge de constater objectivement l’inadéquation de la mesure prise. À l’inverse, les arguments de la défense, fondés sur des études partielles ne prenant pas en compte les crues centennales ou sur de vagues références à des études disponibles, ont été écartés faute de démonstration suffisante.

 

TA Nimes, 3e ch., 11 avr. 2025, n° 2401926