Marché public et reprise du personnel : les informations qu’un candidat est en droit de connaître

En synthèse :

Les marchés publics imposent, dans certains cas, une reprise du personnel. Dans un tel cas, les éléments concrets afférents à cette reprise ont une importance déterminante pour les candidats. Dès lors, la question des éléments d’information qu’un candidat est en droit d’obtenir se pose.

L’information concernant la masse salariale (cumul des rémunérations brutes au sein d’un établissement hors charges patronales) constituée par les salariés devant être repris, ainsi que son coût doit être indiquée dans le document de la consultation lorsqu’elle est déterminante dans le marché « eu égard au poids des charges de personnel dans l’activité considérée » (CE, Société T.E.P, 19 janvier 2011, req. n°340773 ; v. dans le même sens : CE, 1er mars 2012, Département de la Corse du sud, req. n°354159; TA Paris, 4 mai 2017, Société JCDecaux, req. n°1706139/9). À défaut, le pouvoir adjudicateur méconnait les principes cardinaux de la commande publique que sont le principe d’égalité des candidats et de publicité et de mise en concurrence (article L. 3 du code de la commande publique).  Cependant, la juridiction administrative suprême renvoi au juge du fond le soin d’apprécier la suffisance des éléments et ne contrôle que la dénaturation qu’ils pourraient commettre.

Le contenu de cette information doit contenir, selon les juridictions du fond et dans le cas où ces éléments seraient de nature à pouvoir faire varier substantiellement la masse salariale, lorsque cette dernière est déterminante :

  • le nombre de salarié à reprendre,
  • la nature de leur contrat,
  • les avantages dont ils disposent,
  • leur expérience,
  • leur ancienneté,
  • leur qualification.

(par ex :TA Paris, ord., 29 juin 2009, Sté Perfect Nettoyage SA, n° 0909822/6-1 ; TA Melun, ord., 29 octobre 2010, Société Y Z, req. n°1007022/2 ; TA Melun, 22 décembre 2010, Société Aubine, req. n°1008373).

Le Conseil d’Etat n’exige que l’indication de la masse salariale, ainsi que son coût, lorsqu’elle représente un élément essentiel du marché et les juridictions du fond ont, semble-t-il, suivi la position de la juridiction suprême (CE, Société T.E.P, 19 janvier 2011, req. n°340773 ; v. également : CE, 1er mars 2012, Département de la Corse du sud, req. n°354159 ; TA Paris, 4 mai 2017, Société JCDecaux, req. n°1706139). Cependant, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation et, lorsque cela se justifie, parce qu’ils sont de nature à faire varier substantiellement le coût de la masse salariale, lorsqu’elle est un élément déterminant de l’économie du contrat, ils peuvent exiger les différents éléments cités ci-avant.

Les informations couvertes par le secret des affaires ne parent pas à l’égalité de traitement et à la mise en concurrence et doivent être délivrées aux candidats si, compte tenu de la nature des informations en cause, leur communication était nécessaire pour assurer l’égalité entre les candidats (CE, Société T.E.P, 19 janvier 2011, req. n°340773, précité).

 

En détail :

Le Conseil d’Etat n’exiger que l’indication de la masse salariale et le coût que celle-ci représente, laissant le soin aux juges du fond d’apprécier si les éléments de l’appel d’offre sont suffisants. À cet égard, deux arrêts sont à remarquer :

« Considérant, en premier lieu, que le juge des référés a, sans dénaturer les pièces du dossier, estimé que, l’entreprise attributaire étant susceptible de devoir reprendre les salariés du titulaire du précédent marché sur le fondement d’obligations résultant d’une convention collective étendue, le coût de la masse salariale correspondante était en conséquence un élément essentiel du marché, eu égard au poids des charges de personnel dans l’activité considérée ; que c’est, de même, par une appréciation souveraine qu’il a estimé que la VILLE DE PARIS détenait ces informations ou était en mesure de les obtenir ; qu’il n’a ainsi pas commis d’erreur de droit en jugeant nécessaire la communication de cette information à tous les candidats, quand bien même certains ne seraient pas soumis à cette obligation conventionnelle de reprise, afin qu’ils puissent présenter une offre dans des conditions d’une égale concurrence […] [L]a méconnaissance de cette obligation de communiquer à tous les candidats un élément essentiel du marché était constitutive d’un manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence

[…]

Considérant en troisième lieu que si les collectivités publiques sont, dans leur activité contractuelle, tenues au respect du secret des affaires, ce secret doit se concilier avec l’obligation d’assurer l’égalité entre les candidats à l’attribution d’un marché public ; que le juge des référés n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant que, compte tenu de la nature des informations en cause, leur communication était nécessaire pour assurer l’égalité entre les candidats, sans que leur divulgation puisse être regardée comme constitutive d’une violation du secret des affaire» (CE, Société T.E.P, 19 janvier 2011, req. n°340773).

« Considérant, toutefois, que si le coût correspondant à la reprise de salariés imposée par les dispositions du Code du travail ou par un accord collectif étendu constitue un élément essentiel du marché, dont la connaissance permet aux candidats d’apprécier les charges du cocontractant et d’élaborer utilement une offre, le prix de cette offre ne doit pas nécessairement assurer la couverture intégrale de ce coût, compte tenu des possibilités pour l’entreprise de le compenser, notamment par le redéploiement des effectifs en son sein ou, si l’exécution de ce marché n’assure pas un emploi à temps plein des salariés concernés, de la possibilité de leur donner d’autres missions et donc de n’imputer, pour le calcul du prix de l’offre, qu’un coût salarial correspondant aux heures effectives de travail requises par la seule exécution du marché » (CE, 1er mars 2012, Département de la Corse du sud, req. n°354159).

Le tribunal administratif de Paris avait rappelé les prescriptions induites par le principe d’égalité de traitement des candidats, aujourd’hui visées à l’article L.3 du code de la commande publique, en ces termes :

« considérant qu’il est constant que les candidats à la procédure litigieuse comprennent à la fois des titulaires des marchés venant à expiration, dits ‘candidats sortants’ et des entreprises n’ayant jamais exécuté ces marchés, dits ‘candidats entrants’, telle la société requérante (…) ; qu’eu égard à l’obligation de reprise des personnels instituée par l’Accord susvisé (…), il incombait au pouvoir adjudicateur chargé de garantir l’égalité de traitement, afin de rétablir l’équilibre entre les ‘entrants’ et les ‘sortants’, de communiquer, non seulement les éléments essentiels et nécessaires à la présentation d’une offre satisfaisante, mais aussi, sous réserve du respect du secret des affaires, les informations privilégiées, seules détenues par les ‘sortants’ et susceptibles de leur donner un avantage décisif ;

Qu’au nombre de ces informations figurent notamment le nombre de salariés à reprendre (et non pas seulement leur équivalent temps plein), la nature des contrats à reprendre, les avantages dont disposent les personnels, leur expérience, leur ancienneté et leur qualification, ces éléments étant susceptibles de faire varier sensiblement la charge salariale qui constitue une part prépondérante des charges d’exploitation » (TA Paris, ord., 29 juin 2009, Sté Perfect Nettoyage SA, n° 0909822/6-1).

À propos de cette ordonnance, le jurisclasseur relève que « la personne publique devait en outre communiquer le nombre de salariés à reprendre, la nature des contrats à reprendre, les avantages dont disposaient les salariés, leur expérience, leur ancienneté et leur qualification, ces éléments étant, au cas d’espèce, susceptibles de faire varier sensiblement la charge salariale » (P. Peyret sous la direction de S. Braconnier, Lexis360, Contrats et Marchés publics n° 7, Juillet 2012, 5, « Transfert du personnel et procédures de mise en concurrence : à propos des obligations des personnes publiques »). Ce qui tend donc à faire considérer cette ordonnance comme une décision d’espèce où les éléments précités étaient nécessaires à l’appréciation des charges représentées par cette reprise.

Le tribunal administratif de Melun retenait également à ce titre :

« qu’au nombre de ces informations figurent notamment le nombre de salariés à reprendre, la nature des contrats à reprendre, les avantages dont disposent les personnels, leur expérience, leur ancienneté et leur qualification, ces éléments étant susceptibles de faire varier sensiblement la charge salariale qui constitue, dans ce type de marchés, une part prépondérante du budget d’exploitation » (TA Melun, ord., 29 octobre 2010, Société Y Z, req. n°1007022/2 ; v. également : TA Melun, 22 décembre 2010, Société Aubine, req. n°1008373).

Le TA de Paris a cependant suivi la position du Conseil d’Etat et n’a exigé que la présence de l’information tenant à la masse salariale et à son coût, toujours sous réserver qu’elle soit déterminante de l’économie du contrat, confirmant ainsi l’analyse précitée du jurisclasseur (TA Paris, 4 mai 2017, Société JCDecaux, req. n°1706139).

La CAA de Douai a semble-t-il également retenu cette position :

« Considérant qu’il résulte des stipulations de l’accord du 5 mars 2002 relatif à la reprise du personnel, attaché à la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985 étendue par arrêté du 25 juillet 1985, que la conclusion d’un contrat portant sur des prestations relevant de cette convention collective implique en cas de changement de prestataire, que l’entreprise retenue reprenne au moins 85 % des personnels transférables dans la limite du nombre de personnels nécessaires à l’exécution du contrat ; que, dans le cadre de la passation d’un marché public, y compris lorsqu’il s’agit d’un marché à bon de commandes, il incombe au pouvoir adjudicateur d’informer les candidats éventuels de la masse salariale des personnels à reprendre ainsi que du coût correspondant ; que ces informations constituent un élément essentiel du marché eu égard à la nature des prestations de gardiennage et de sécurité concernées ; que la méconnaissance de cette obligation est constitutive d’un manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence » (CAA Douai, 6 mars 2014, Commune de Creil, req. n°13DA00173).