Le jugement rendu par le Tribunal administratif de Nantes le 13 juin 2023 offre un éclairage précieux sur l’étendue du contrôle juridictionnel exercé sur les décisions de classement en espace boisé classé dans le cadre de l’élaboration des plans locaux d’urbanisme. Cette décision, bien qu’infirmée en appel par la Cour administrative d’appel de Nantes le 10 janvier 2025, mérite une analyse approfondie tant elle illustre les tensions récurrentes entre protection de l’environnement et droits des propriétaires.
Le contexte du litige
Les propriétaires d’une parcelle située à Pornichet contestaient la délibération du 4 février 2020 par laquelle la communauté d’agglomération de la région nazairienne et de l’estuaire avait approuvé son plan local d’urbanisme intercommunal. Cette délibération grevait leur terrain d’une servitude d’espace boisé classé en son fond, tout en identifiant trois groupes d’arbres situés à l’avant comme arbres remarquables au titre de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme.
Les requérants multipliaient les moyens d’annulation, invoquant tour à tour des vices de procédure dans l’élaboration de la délibération, des irrégularités dans l’enquête publique, une erreur manifeste d’appréciation, une incompatibilité avec le schéma de cohérence territoriale et une rupture du principe d’égalité.
Le rejet des moyens de procédure
Le tribunal a d’abord écarté méthodiquement l’ensemble des moyens de procédure soulevés. S’agissant de la convocation des conseillers communautaires, le tribunal a constaté que celle-ci avait été effectuée de manière dématérialisée le 28 janvier 2020, accompagnée de l’ordre du jour, du projet de délibération et d’une note de synthèse. Les conseillers avaient également reçu cette convocation par voie postale, accompagnée d’une clé USB contenant les documents relatifs au projet.
Cette double modalité de convocation témoigne de la prudence des collectivités dans l’accomplissement de leurs obligations procédurales. Le tribunal rappelle utilement que l’envoi dématérialisé suffit, sauf demande expresse des conseillers de recevoir une convocation écrite à leur domicile.
Concernant l’enquête publique, les requérants reprochaient à la commission d’enquête de n’avoir pas répondu spécifiquement à leurs observations. Le tribunal rejette ce grief en rappelant que si le commissaire enquêteur n’est pas tenu de répondre individuellement à chaque observation, il doit néanmoins indiquer les raisons qui déterminent le sens de son avis. En l’espèce, les 466 observations recueillies avaient été regroupées en treize thèmes, dont l’un portait spécifiquement sur les espaces boisés classés et mentionnait l’observation des requérants.
L’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans le classement
Le cœur du contentieux portait sur le bien-fondé du classement en espace boisé classé. Les requérants soutenaient que ce classement n’était justifié par aucun motif, qu’il était disproportionné par rapport au traitement d’autres parcelles, et que les arbres concernés étaient infestés de chenilles processionnaires.
Le tribunal développe une analyse particulièrement instructive des objectifs du plan local d’urbanisme intercommunal. Le projet d’aménagement et de développement durables visait à maintenir un réseau écologique fonctionnel en préservant la trame verte et bleue, ainsi qu’à protéger les ensembles balnéaires patrimoniaux et leur couvert végétal caractéristique. Le rapport de présentation soulignait l’absence de grands boisements sur le territoire et la nécessité de préserver les zones boisées existantes.
Le tribunal relève que la parcelle en cause, presque entièrement plantée d’arbres avec une densité plus importante en fond de parcelle, se situe à la marge mais néanmoins à l’intérieur d’un vaste espace boisé. Elle jouxte des parcelles également boisées, dont certaines sont déjà classées en espace boisé classé. Dans ce contexte, le classement répond aux partis d’urbanisme clairement affirmés par les auteurs du document d’urbanisme.
La décision rappelle un principe essentiel : l’identification des espaces boisés classés n’a pas à faire l’objet d’une motivation particulière dans le rapport de présentation, dès lors que ce rapport et le projet d’aménagement permettent de comprendre l’objet de cette identification. Cette solution accorde une certaine souplesse aux collectivités dans la rédaction de leurs documents d’urbanisme.
L’articulation avec le schéma de cohérence territoriale
Un aspect particulièrement intéressant du jugement concerne l’articulation entre le plan local d’urbanisme et le schéma de cohérence territoriale. Les requérants invoquaient une incompatibilité au motif que leur parcelle n’était pas identifiée comme espace boisé significatif par le schéma de cohérence territoriale de Nantes-Saint-Nazaire.
Le tribunal rejette cet argument avec une argumentation convaincante. Il explique que les espaces boisés significatifs identifiés par le schéma ne constituent qu’une catégorie d’espaces boisés classés. L’article L. 113-1 du code de l’urbanisme permet aux auteurs des plans locaux d’urbanisme d’identifier tous les bois, forêts, parcs, arbres isolés, haies ou plantations d’alignement qu’il leur paraît nécessaire de conserver ou protéger, sans que ceux-ci soient nécessairement identifiés par le schéma de cohérence territoriale.
Cette interprétation reconnaît une marge d’appréciation substantielle aux collectivités locales dans l’identification des espaces à protéger, tout en respectant le principe de compatibilité avec le document de rang supérieur.
Le principe d’égalité devant les charges publiques
Les requérants invoquaient également une rupture du principe d’égalité, estimant que le traitement de leur propriété était démesuré par rapport à d’autres parcelles. Le tribunal rappelle un principe classique en droit de l’urbanisme : il est dans la nature de toute réglementation d’urbanisme de distinguer des zones où les possibilités de construction diffèrent. Dès lors que le classement ne repose pas sur une appréciation manifestement erronée et n’est pas entaché d’un détournement de pouvoir, il ne porte pas atteinte au principe d’égalité.
Cette décision du Tribunal administratif de Nantes illustre la retenue traditionnelle du juge administratif dans le contrôle des choix d’urbanisme opérés par les collectivités territoriales, particulièrement lorsque ces choix s’inscrivent dans une politique cohérente de préservation de l’environnement et du patrimoine paysager.
TA Nantes, 1re ch., 13 juin 2023, n° 2005710.