Le jugement rendu le 17 octobre 2023 par le tribunal administratif de Nantes illustre avec clarté l’application du mécanisme d’annulation partielle prévu par l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme. Cette décision, qui conjugue rigueur dans le contrôle de légalité et pragmatisme dans les conséquences tirées des irrégularités constatées, mérite une attention particulière pour comprendre l’évolution du contentieux de l’urbanisme.
Un projet urbain confronté à de multiples contestations
L’affaire concernait un permis de construire délivré pour l’édification de trois immeubles collectifs comprenant cinquante-deux logements sur un terrain de près de 7000 mètres carrés à Nantes. Deux recours distincts avaient été formés par des voisins, soulevant pas moins d’une vingtaine de moyens relatifs tant à la composition du dossier qu’au respect des règles du plan local d’urbanisme métropolitain. Cette multiplication des griefs, caractéristique du contentieux de l’urbanisme, illustre la complexité croissante des normes applicables et la vigilance accrue des riverains face aux projets immobiliers de leur quartier.
Le tribunal a méthodiquement examiné chacun des moyens soulevés, rejetant la grande majorité d’entre eux. Cette analyse détaillée démontre que les requérants avaient invoqué aussi bien des vices de procédure que des méconnaissances substantielles du règlement d’urbanisme, stratégie classique visant à maximiser les chances d’obtenir l’annulation totale du permis contesté.
Deux irrégularités substantielles identifiées
Sur l’ensemble des moyens examinés, le tribunal n’en a retenu que deux comme fondés. Le premier concernait l’absence de césure dans la façade sud du bâtiment C. Le règlement du plan local d’urbanisme impose en effet qu’une interruption soit aménagée dans les constructions dont la hauteur atteint un certain niveau et dont le linéaire de façade dépasse trente mètres. Cette prescription vise à éviter les effets de masse et à favoriser une insertion harmonieuse dans le tissu urbain. Le tribunal a constaté qu’avec un linéaire de plus de trente-sept mètres pour la partie concernée du bâtiment C, cette règle n’avait pas été respectée.
La seconde irrégularité relevait du traitement paysager des aires de stationnement. L’article du règlement applicable impose la plantation d’au moins un arbre pour cent mètres carrés de stationnement extérieur, surfaces d’accès comprises. Le projet prévoyait douze places de stationnement en surface avec leurs voies d’accès, représentant plus de trois cents mètres carrés. Trois arbres auraient donc dû être plantés sur cette surface même, or le projet n’en prévoyait aucun, se contentant d’aménagements paysagers dans les espaces verts adjacents.
L’annulation partielle comme solution pragmatique
Face à ces deux irrégularités avérées, le tribunal aurait pu, conformément à une jurisprudence classique, prononcer l’annulation totale du permis de construire. C’est ici que le mécanisme de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, issu de la loi ELAN de 2018, trouve toute sa pertinence. Ce dispositif permet au juge, lorsqu’il constate qu’un vice n’affecte qu’une partie identifiable du projet et peut être régularisé, de limiter la portée de l’annulation à cette seule partie.
Le tribunal a considéré que les deux irrégularités constatées remplissaient ces conditions. Elles affectaient des parties clairement identifiables du projet et pouvaient être corrigées sans bouleverser la nature même de celui-ci. L’ajout d’une césure dans le bâtiment C et la plantation d’arbres sur les places de stationnement extérieures ne remettaient pas en cause l’économie générale du projet immobilier. Le tribunal a donc prononcé une annulation partielle, accordant au pétitionnaire un délai de trois mois pour déposer une demande de permis modificatif régularisant ces deux points.
Les enseignements pour la pratique
Cette décision illustre l’évolution du contentieux de l’urbanisme vers davantage de proportionnalité dans les sanctions. Le mécanisme d’annulation partielle permet d’éviter qu’une irrégularité mineure n’entraîne l’anéantissement complet d’un projet conforme sur l’essentiel. Pour autant, cette solution ne doit pas être perçue comme une invitation au laxisme. Le juge vérifie rigoureusement que la régularisation est possible sans dénaturer le projet et que les irrégularités concernent bien des parties identifiables et dissociables.
Pour les pétitionnaires, cette jurisprudence rappelle l’importance d’une vérification minutieuse de la conformité du projet à l’ensemble des prescriptions réglementaires, même celles qui peuvent paraître secondaires. Pour les riverains contestant un permis, elle souligne la nécessité de cibler les moyens les plus solides, car la multiplication des griefs n’empêche pas le juge d’opérer un tri rigoureux entre moyens fondés et non fondés.
Cette décision du tribunal administratif de Nantes témoigne ainsi de la maturation du droit de l’urbanisme, qui concilie désormais contrôle effectif de la légalité et préservation, dans la mesure du possible, des projets conformes dans leur substance
TA Nantes, 1re ch., 17 oct. 2023, n° 2215681.