Marché public – annulation pour l’irrégularité dans la mise en œuvre des critères et sous-critères 

Quelle est la différence entre un critère, un sous-critère et une méthode de notation? Quid de la liberté de l’acheteur en la matière lors de la rédaction du règlement de la consultation puis dans sa mise en œuvre au stade de l’analyse des offres ? Cette question récurrente en droit des marchés publics a encore été à l’honneur dans plusieurs ordonnances rendues en 2022 par des juges statuant en matière de référé précontractuel.

Sur l’obligation de publication des sous-critères

Cette première affaire portait sur une procédure engagée par le Groupement d’achats des établissements sanitaires et sociaux Manche et Calvados pour l’attribution du marché public de fourniture de produits d’incontinence et de textiles à usage unique.

Le juge rappelle la jurisprudence de principe selon laquelle le pouvoir adjudicateur « doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l’importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. »

Dans cette affaire, le règlement de la consultation du marché invitait les candidats « à proposer des taux de remise, selon que la livraison est effectuée par demi-palette d’articles d’une seule et même référence, par palette entière avec carton d’articles d’une seule et même référence, par palette entière sans carton d’articles d’une seule et même référence ou selon le montant de la commande (entre 800 et 2 500 euros HT et supérieur à 2 500 euros HT), et pour les articles hors BPU, le taux de remise catalogue calculé sur le tarif public en pourcentage. »

Or, le pouvoir adjudicateur dans son analyse, a distingué deux sous-critères : celui du prix unitaire, pondéré à 27 %, et celui des remises, pondéré à 3 %. %. La publication de ces sous-critères aurait exercé une influence sur la présentation de l’offre des différents candidats selon le juge.

En effet:

« Pour ce qui concerne le sous-critère des remises, il résulte de l’instruction que les conditionnements des articles ne sont pas homogènes et qu’ainsi la comparaison des taux de remise proposés par les candidats en fonction de ces conditionnements ne sont pas comparables. De plus ce sous-critère a été évalué sans tenir compte du niveau des prix sur lesquels les remises étaient proposées, ce qui le prive de pertinence. En outre, si le Groupement d’achats des établissements sanitaires et sociaux Manche et Calvados fait valoir en défense que les taux de remise pour les articles inclus dans le BPU n’ont pas été pris en compte dans l’appréciation du mérite des offres, une telle circonstance révèle une modification en cours de procédure de passation de la méthode de notation, ce qui constitue un manquement aux règles de publicité. »

Dernière précision intéressante, le juge retient que les manquements au principe de transparence des procédures ont pu léser le requérant alors même qu’il a été classé en troisième position « eu égard à l’écart de points entre les trois premiers candidats, relativement faible au niveau de leur note globale ».

La procédure est donc annulée.

Décision commentée: TA Caen, référé précontractuel, 4 février 2022, n° 2200136   – Voir également dans le même sens: CE, 7e et 2e ss-sect. réunies, 18 juin 2010, n° 337377

Sur la mise en oeuvre irrégulière d’une méthode de notation

Le tribunal administratif de Lyon a rendu une intéressante ordonnance illustrant le contrôle opéré par le juge du référé précontractuel sur les critères et les sous-critères, et sur la nécessité pour l’acheteur de bien respecter les règles qu’il s’est fixé dans le règlement de la consultation.

L’affaire portait sur marché public global de performance associant la modernisation, la rénovation, l’exploitation, la maintenance et la gestion des installations d’éclairage public.

Le moyen que retient le juge pour annuler la procédure est relatif à l’irrégularité dans la mise en œuvre des critères et sous-critères. En effet, il était expressément prévu dans le règlement de la consultation que la méthode de notation au titre du coût global de l’offre était celle de « la règle de 3 inversée » appliquée pour le  » coût global de l’offre Tranche ferme + Tranches optionnelles.

Or, le juge relève que cette méthode n’a pas été respectée pour défaut de prise en compte des prix des tranches optionnelles :

 » Or il résulte de l’instruction que les notes attribuées à la société INEO Rhône-Alpes-Auvergne et au groupement CITEOS l’ont été au vu de l’offre de prix de la seule tranche ferme, et non de celle-ci et des tranches optionnelles. En prenant en compte le prix de l’offre global, la société INEO Rhône-Alpes-Auvergne devait obtenir 300 points, et non 294,70 points. Le groupement CITEOS ne devait pas obtenir 300 points mais seulement 292,63 points, ce qui réduit à 11 points l’écart entre les deux entreprises. »

Le juge censure également une note de 0/20 injustifiée en raison de la proximité de prestation entre les deux offres:

« Il résulte également de l’instruction que la société INEO Rhône-Alpes-Auvergne a obtenu 0/20 au titre du sous-critère N.1.1.2 « Exactitude de la consommation énergétique et des économies », au motif d’un « Ecart de 2 119,52 kWh sur le calcul de consommation d’énergie entre le fichier de cadrage et l’annexe » 21 – calcul des consommations d’énergie « . Or la lettre de cadrage établie par la commune mentionnait une consommation annuelle d’énergie de 1 110 000 kWh par la commune d’Andrézieux-Bouthéon et l’annexe 21 de l’offre de la société INEO Rhône-Alpes-Auvergne indique une consommation de 1 110 044,96 kWh, ce qui constitue une différence non significative et en tout état de cause très inférieure à celle de 2 119,52 kWh, mentionnée dans l’analyse des offres. Le motif pour lequel l’offre de la société INEO Rhône-Alpes-Auvergne n’a obtenu aucun point au titre du sous-critère N.1.1.2 » Exactitude de la consommation énergétique et des économies  » est donc douteux et doit être réapprécié dans son principe comme dans son montant. »

La procédure de passation du marché public est donc annulée.

Décision commentée: TA Lyon, référé précontractuel, 25 juillet 2022, n° 2205000. 

Sur l’absence de communication d’éléments d’appréciations qualifiés de sous-critères

Le tribunal administratif de Marseille a rendu une décision intéressante sur un marché « consolidation par injection de résine du sol de fondation de l’ancienne sous-préfecture » passé par la commune de Castellane est annulée au stade de l’examen des offres.

Le juge rappelle la position de la jurisprudence classique selon laquelle :

« Une méthode de notation est toutefois entachée d’irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d’appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l’évaluation ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l’ensemble des critères pondérés, à ce que l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n’y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l’avis d’appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation. »

En l’espèce le juge relève que « Le rapport d’analyse des offres révèle que, pour évaluer le sous-critère relatif à la note méthodologique, le pouvoir adjudicateur a en outre distingué cinq items, les références, pondérées à hauteur de 5 points, les délais à hauteur de 5 points, la consolidation des sols à hauteur de 5 points, la consolidation des fondations à hauteur de 5 points et enfin le phasage à hauteur de 10 points. » Ces items n’étaient pas indiqués dans le règlement de la consultation.

Le juge considère que :

« Si la commune de Castellane et la société Uretek soutiennent que ces items constitueraient de simples éléments d’appréciation du sous-critère « note méthodologique » de la valeur technique des offres que le pouvoir adjudicateur n’était pas tenu de porter préalablement à la connaissance des candidats avec leur pondération et que ces éléments d’appréciation avaient été annoncés dans le règlement de consultation, ces cinq items ne correspondent toutefois pas directement aux éléments annoncés dans les documents de la consultation portant sur le nombre et les compétences des personnes sur le chantier, les modalités d’exécution, la proposition d’installation de chantier, le matériel à disposition et la réalisation des travaux.

En outre, compte tenu de la pondération de 10% de la note globale des offres accordée, au stade de l’analyse des offres, à l’item portant sur le phasage des travaux, affecté d’une pondération différente et d’une importance particulière par rapport à celle des quatre autres items pondérés chacun à hauteur de 5 points s’agissant des références, des délais, de la consolidation des sols et de la consolidation des fondations, ces cinq items ne peuvent être considérés comme de simples éléments d’appréciation définis par le pouvoir adjudicateur pour préciser ses attentes au regard de chaque critère. Ils doivent être regardés comme des sous-critères du sous-critère « note méthodologique » de la valeur technique des offres et, ainsi, comme de véritables critères d’analyse et de sélection des offres.

Par suite, en omettant de porter à la connaissance des candidats la façon dont elle entendait décomposer, au stade de l’analyse des offres, le sous-critère de la valeur technique en cinq sous-critères avec le poids respectif de chacun d’eux, alors qu’elle était de nature, si elle avait été connue des candidats, à influencer la présentation des offres des candidats ou leur sélection, la commune de Castellane a commis un manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, et en particulier au principe de transparence des procédures, applicables y compris dans le cadre d’une procédure adaptée. »

Décision commentée: TA Marseille, référé précontractuel, 12 août 2022, n° 2206200.

 

Sur le caractère ambiguë d’une méthode de notation

La dernière affaire concerne une méthode de notation inadaptée par son caractère ambigüe.  Dans cette affaire, l’article 7.2 du règlement de consultation prévoyait deux critères pour le jugement des offres : le critère n°1 « prix des prestations », pondéré à 30% et évalué sur la base du détail estimatif simulatif, et le critère n°2 « qualité technique de l’offre », pondéré à 70% et analysé sur la base du mémoire technique des candidats.

Le requérant contestait  l’évaluation de la qualité financière de ses offres faisant valoir « que ni le bordereau des prix unitaires (BPU), ni le détail estimatif simulatif n’indiquaient les modalités de tarification attendue par le pouvoir adjudicateur, l’ayant ainsi conduit à proposer une tarification unitaire au document d’un montant supérieur à la tarification unitaire à la minute proposée par la société concurrente VectraCom. »

Le juge des référés relève que:

« Si le département de Lozère fait valoir dans ses écritures que des précisions sur l’unité de prix ont été apportées à l’ensemble des candidats avant la date limite de remise des offres, il ressort toutefois de ces échanges que si une tarification à la minute était attendue pour les documents audiovisuels et/ou sonores, cette mention était contredite par une autre précision du pouvoir adjudicateur mentionnant qu’il attendait, pour les lots 7 à 10, une tarification au document et à la minute pour les supports audiovisuels, et à la vue pour les autres documents. »

« Par ailleurs, une telle attente du pouvoir adjudicateur, qui a indiqué à plusieurs reprises n’être pas en mesure de quantifier ses besoins en nombre ou mesure des documents, ou en minutes de visionnage, n’est pas cohérente avec les quantités indicatives des BPU des lots n°7 à 9, dont la référence à une quantité unique pour la plupart des supports considérés n’est pas en adéquation avec une tarification unitaire à la minute. Dans ces conditions, la société Cité de Mémoire est fondée à soutenir que les termes des pièces au dossier de consultation concernant le critère du prix, par leur imprécision ou leur caractère ambigu, ne permettaient pas aux candidats de connaître précisément les attentes du pouvoir adjudicateur, et ont ainsi conduit à une rupture d’égalité entre les candidats. Ce vice a, en l’espèce, lésé la société requérante, qui a obtenu des notes moins élevées que l’entreprise attributaire du contrat s’agissant du critère relatif au prix. »

La procédure a donc été annulée.

TA Nîmes, référé précontractuel, 27 juillet 2022, n° 2202132.