Alors que l’épidémie de coronavirus (covid-19) se propage en France, le Ministre de l’économie a indiqué qu’elle serait qualifiée de cas de « force majeure » s’agissant notamment des marché publics. Il est prévisible que le coronavirus entrainera de graves difficultés d’exécution et de trésorerie pour les acheteurs publics, les titulaires de marchés publics et leurs sous-traitants.
Le mécanisme de la force majeure devrait permettre de résoudre ou de tempérer un certains nombre de ces difficultés. C’est également le cas des mécanismes de modification unilatérale du contrat, de résiliation unilatérale ou d’imprévision applicables aux marchés publics.
Il conviendra au cas par cas de définir si l’épidémie de covid 19 peut justifier l’exonération des contrat de leurs obligations contractuelles ou d’obtenir une indemnisation.
1. Le coronavirus, cas de force majeure
Selon l’article 1218 du code civil, « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »
Cet définition législative reprend les critères jurisprudentiels antérieurs d’imprévisibilité et d’irrésistibilité dégagés par la jurisprudence. Le Conseil d’Etat applique une définition similaire de la force majeure (mais avec la condition d’extériorité).
Il résulte de la jurisprudence judiciaire rendue à propos des épidémies (voir en ce sens La grippe, les épidémies et la force majeure en dix arrêts, Pascale Guiomard, Dalloz) que pour que la force majeure soit retenue, il faut:
- que le contrat n’ait pas été conclu postérieurement à l’épidémie, la question se posant de la date à compter de laquelle l’épidémie et sa gravité peuvent être anticipées (TGI Saint-Denis de la Réunion, 29 déc. 2009, n° 08/02114).
- que l’épidémie ait touché la zone d’exécution du contrat (jurisprudence rendue à propos de pays voisins de ceux où sévissait l’épidémie du SRAS).
- que l’épidémie soit suffisamment grave pour être qualifiée d’irrésistible (CA Basse-Terre, 17 déc. 2018, n° 17/00739). Dans ce cas, le caractère d’irrésistibilité pourra résulter soit de la maladie elle même (une personne hospitalisée) soit des mesures prises pour l’endiguer (fermeture d’écoles, restriction de circulation, confinement…).
A notre connaissance le juge administratif n’a jamais statué sur des cas de force majeure résultant d’épidémie. Cette dernière est cependant retenue s’agissant de catastrophes naturelles majeures (crue historique, inondations très graves…).
On note que la jurisprudence a pu apprécier assez sévèrement le caractère de force majeure des épidémies. Ainsi la force majeure a été rejetée dans le cas d’un cyclone qui n’avait eu pour effet que de révéler des vices de conception et de réalisation dont un ouvrage était affecté (CAA Paris, 11 juill. 1997, n° 95PA02189, Lomba) ou une pour une crue exceptionnelle mais qui avait déjà eu lieu des décennies auparavant (CE, 9 mai 1962, Sté Chais d’Armagnac).
Cependant, au regard de l’apparition brutale du coronavirus, de son extension à l’ensemble du territoire français et de ses conséquences graves sinon létales, et surtout de son caractère inédit, il y a une forte probabilité que la force majeure puisse être retenue dans de nombreux cas. La qualification ne pourra cependant être effectuée qu’au cas par cas, marché public par marché public, prestation par prestation en vérifiant que les conditions de la force majeure sont réunies.
2. Conséquences sur les marchés publics
La qualification de force majeure a des conséquences importantes sur l’exécution des marchés publics. Nous examinerons également d’autres mécanismes issus des CCAG ou de la jurisprudence (imprévision, résiliation et modification unilatérale du contrat) permettant d’engager la responsabilité de l’administration.
2.1 La force majeur, cause exonératoire de responsabilité et coronavirus
Si le cas de force majeure est retenu, le titulaire du marché peut s’en prévaloir pour justifier l’inexécution de son obligation et dégager sa responsabilité. La force majeure peut ainsi faire obstacle à l’application de pénalités comme à la mise en œuvre de la responsabilité du titulaire en raison de retards ou d’inexécution.
Les titulaires pourront s’appuyer sur les clauses du CCAG applicable à leur marché. C’est le cas du CCAG travaux en cas de difficultés imprévues, notion plus large que celle de force majeure.
« Une prolongation du délai de réalisation de l’ensemble des travaux ou d’une ou plusieurs tranches de travaux ou le report du début des travaux peut être justifié par […] une rencontre de difficultés imprévues au cours du chantier ; un ajournement de travaux décidé par le représentant du pouvoir adjudicateur ; un retard dans l’exécution d’opérations préliminaires qui sont à la charge du maître d’ouvrage ou de travaux préalables qui font l’objet d’un autre marché ». (art. 19.2.2 du CCAG travaux)
Le CCAG applicable aux fournitures et services, comme celui applicable aux prestations intellectuelles, vise quant à lui expressément la force majeure sur ce point:
« Lorsque le titulaire est dans l’impossibilité de respecter les délais d’exécution, du fait du pouvoir adjudicateur ou du fait d’un évènement ayant le caractère de force majeure, le pouvoir adjudicateur prolonge le délai d’exécution. Le délai ainsi prolongé a les mêmes effets que le délai contractuel.(CCAG FCS).
Dans ce dernier cas, il est prévu que « Pour bénéficier de cette prolongation, le titulaire signale au pouvoir adjudicateur les causes faisant obstacle à l’exécution du marché dans le délai contractuel. Il dispose, à cet effet, d’un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle ces causes sont apparues ou d’un délai courant jusqu’à la fin du marché, dans le cas où le marché arrive à échéance dans un délai inférieur à quinze jours. Il indique, par la même demande, au pouvoir adjudicateur la durée de la prolongation demandée. «
Il sera dans tous les cas nécessaires en cas de litige, que l’entreprise puisse justifier dans quelle mesure l’épidémie de coronavirus l’a empêcher d’exécuter son contrat. Il pourra également être préférable d’anticiper les difficultés dans la mesure du possible en prolongeant les délais d’exécution en amont.
Dans tous les cas, il sera fondamental de se référer aux pièces particulières du marché (CCAP) qui peuvent déroger ou préciser ces mécanismes.
2.2 Indemnisation du titulaire du marché suite au coronavirus
Outre la possibilité de ne pas voir sa responsabilité engagée, la force majeure ou des notions voisines, peuvent également permettre une indemnisation du titulaire du marché public.
S’agissant des marchés de travaux, l’article 18.3 du CCAG afférent stipule:
« En cas de pertes, avaries ou dommages provoqués sur ses chantiers par un phénomène naturel qui n’était pas normalement prévisible, ou en cas de force majeure, le titulaire est indemnisé pour le préjudice subi, sous réserve :
― qu’il ait pris, en cas de phénomène naturel, toutes les dispositions découlant de l’article 18.2 ;
― qu’il ait signalé immédiatement les faits par écrit. »
Il pourra être soutenu si la force majeure était difficile à justifier, que le coronavirus était bien un phénomène non normalement prévisible.
L’indemnisation pourra également être recherchée si dans le cadre de l’épidémie, la personne publique modifie unilatéralement le contrat :
« L’autorité contractante peut modifier unilatéralement le contrat dans les conditions prévues par le présent code, sans en bouleverser l’équilibre. Le cocontractant a droit à une indemnisation, sous réserve des stipulations du contrat ».
Dans cette hypothèse, l’acheteur procède à une modification unilatérale du contrat pour motif d’intérêt général par exempte pour adapter le contrat en urgence à l’épidémie de coronavirus. Le titulaire aura dans ces circonstances le droit d’être indemnisé même si la modification n’a pas bouleversé l’équilibre du contrat.
L’indemnisation pourra enfin être justifiée par le « fait du prince » c’est à dire quand a personne publique prend des mesures unilatérales qui ont un effet sur le contrat sans constituer une modification du contrat.
2.3 Imprévision et coronavirus
Le mécanisme de l’imprévision pourra être invoqué. Ce dernier est défini à l’article L6 du code de la commande publique:
« Lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité ; »
Cette théorie de l’imprévision permet d’assurer la continuité du service public en permettant au titulaire du marché public de poursuivre l’exécution du contrat malgré les difficultés rencontrées et le bouleversement de l’économie du contrat.
Il faut noter que cette condition est plus facilement remplie que la force majeure car il n’est pas exigé que l’évènement soit irrésistible.
Cette théorie de l’imprévision permet d’assurer la continuité du service public en permettant au titulaire du marché public de poursuivre l’exécution du contrat malgré les difficultés rencontrées et le bouleversement de l’économie du contrat.
L’indemnité à laquelle a droit le titulaire doit lui permettre de continuer à exécuter le contrat. La personne publique devra prendre à sa charge les pertes « exceptionnelles » ou anormales résultant de l’imprévision, les pertes résultant d’un aléa économique normal restant à la charge du cocontractant.
En cas de désaccord entre les parties, le juge administratif fixera le montant de l’indemnité.
NB: Si le titulaire peut être indemnisé cela ne lui permet pas de s’exonérer de ses obligations contractuelles: c’est l’objet même de l’imprévision de permettre la poursuite de l’exécution du contrat.
2.4 Résiliation par l’acheteur public en raison du coronavirus
Enfin, selon l’article L2195-2 du code de la commande publique « L’acheteur peut résilier le marché en cas de force majeure. » C’est également le cas au demeurant pour les concessions.
L’article L6 du code de la commande publique ajoute que « L’autorité contractante peut résilier unilatéralement le contrat dans les conditions prévues par le présent code. Lorsque la résiliation intervient pour un motif d’intérêt général, le cocontractant a droit à une indemnisation, sous réserve des stipulations du contrat. »
Il conviendra de justifier qu’au regard des circonstances et de l’objet du marché, il était devenu impossible pour le titulaire d’exécuter le marché. Cela ne sera pas le cas s’il était possible de l’exécuter partiellement ou de manière adaptée.
Sauf accord des parties, l’appréciation de la qualification de force majeure et de ses conséquences revient au juge administratif. On peut relever que dans un ancien arrêt, il a été jugé que le titulaire du contrat public ne peut se voir indemnisé que des pertes subies imputables à l’évènement constitutif de force majeure, à l’exclusion de toute autre indemnisation (CE 8 janvier 1925, Société Chantiers et ateliers de Saint-Nazaire).
Responsabilité sans faute
Une dernière hypothèse à envisager est celle de la responsabilité sans faute de la personne publique. Cette dernière peut intervenir en cas de risque particulier ou en cas de rupture d’égalité devant les charges publiques. Il faut dans cas cas que la victime puisse justifier avoir subi un préjudice anormal et spécial, c’est à dire que le préjudice est différent celui subi par les autres entreprises.
On pourrait envisager que ce serait le cas pour le titulaire d’un marché public subissant la décision prise par la personne publique dans le cadre de son pouvoir réglementaire et ayant un effet particulier spécifique, sur l’exécution du contrat.